Il est un point européen sur lequel, dans les années 60, de Gaulle avait raison et Monnet tort : jamais la Grande-Bretagne n’aurait dû être admise dans le club européen ! Aujourd’hui, certains commencent à le comprendre. Et, mieux, à le dire !
Anglophile résolu et partisan farouche de l’entrée de la Grande-Bretagne dans la Communauté des Six de l’époque, Jean Monnet s’est trompé parce que les liens amicaux qu’il avait noués à Londres – ainsi qu’à Washington – dans le contexte des deux Guerres mondiales lui masquaient une double réalité : d’une part, une île reste toujours une île par rapport au continent ; d’autre part, un empire se rêve toujours empire.
Psychologiquement et physiquement, la plupart des Britanniques se savent européens mais ne se sentent pas européens. Dans la tête, ils sont d’ailleurs, de l’autre côté du Channel, le bon côté. Et, dans l’esprit de la plupart de leurs dirigeants, ils ont encore et toujours leur empire. N’est-ce pas vrai aussi dans le chef de leurs homologues français ? Peut-être, voire sans doute même.
Toutefois, leur “nouvel empire”, les de Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac et, désormais, Sarkozy ont toujours voulu le bâtir en instrumentalisant la construction européenne, en plaçant celle-ci au service de la grandeur de la République et de sa mission dite universelle. La tentation du directoire – franco-allemand – pour sauver l’euro à laquelle succombe avec délice et opiniâtreté le pensionnaire actuel de l’Elysée n’est que le dernier avatar en date de cette tentative constante de reconstruction de la grandeur française.
Parce qu’ils sont insulaires, les Britanniques – les Anglais surtout ! – ont choisi une voie très différente pour parvenir aux mêmes fins. Avec un entêtement qui relèverait pour un peu de la psychiatrie, ils se voient, au nom d’une prétendue “relation privilégiée” qui fait sourire de l’autre côté de l’Atlantique, comme le cinquante-et-unième élément de l’empire américain, disposant de la sorte un peu de sa gloire et de sa puissance. Envers et contre tout, ils se sentent proches de Washington alors que Bruxelles l’européenne demeure, pour eux, une capitale étrangère. Et potentiellement dangereuse, sinon hostile !
Voilà pourquoi Ferdinando Riccardi, le pourtant très conciliant et consensuel éditorialiste de l’Agence Europe, se laissait aller à écrire le 9 septembre dernier : “La question devient incontournable : jusqu’à quel point le Royaume-Uni fait-il encore partie de l’Union européenne ? »
Euro, Schengen, défense… La litanie des activités européennes où Londres brille par son absence se transforme désormais en mantra un peu trop obsédant. Et cette absence se transforme même carrément en nuisance quand le ministre britannique des Affaires étrangères, le très conservateur William Hague, pousse l’arrogance jusqu’à déclarer, lors de la tentative de relance, en juillet dernier, du projet de création d’un quartier général européen dans le cadre de la Politique de sécurité et de défense : “Nous le bloquons aujourd’hui. Nous le bloquerons à l’avenir. Cette décision est pour nous sans appel ».
Nuisance encore à bien lire entre les lignes lorsque le très prudent président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, déclare que “la zone euro est un édifice fragile, soumis aux attaques des milieux financiers anglo-saxons ». Entre les intérêts bien compris de la City et ceux de l’Europe, la Grande-Bretagne a choisi ! C’est son droit, mais…
Le problème est que, désormais, Londres n’est plus seulement un frein, mais aussi l’adepte inconditionnel de la marche arrière. Lors de la campagne pour les dernières élections législatives, les conservateurs de David Cameron n’ont pas caché que rapatrier un certain nombre de compétences octroyées indûment aux Institutions européennes par de précédents gouvernements serait la panacée pour le pays.
De la même manière, étrangler l’Union européenne sur le plan financier au nom de la nécessaire austérité qui doit s’imposer à tous est un moyen idéal pour qui souhaite en revenir à une simple zone de libre échange à peine améliorée – les dirigeants allemands et français se rendent-ils bien compte de quoi ils se rendent complices en abordant le débat sur les prochaines Perspectives financières 2014-2020 dans le même état d’esprit de pingrerie ?
En attendant, sans même attendre les verdicts des combats en cours, des officines et intellectuels eurosceptiques préparent déjà les prochaines étapes de la déconstruction européenne voulue à Londres. Ainsi, “dans le sillage de la crise de l’euro”, un rapport publié le 12 septembre invite le Royaume-Uni non point à quitter l’Union, mais “à se positionner comme le champion national du localisme européen ».
C’est quoi, le localisme européen ? Tout simplement l’antidote au très funeste principe, inscrit dans les traités, d’une “union toujours plus étroite », lequel donne le haut-le-cœur à Anthony Browne, un ancien correspondant européen du Times, qui estime que “la crise de l’euro montre que ce principe a été testé jusqu’à la destruction ». C’est donc le principe même de la monnaie unique qui dérange certains dans les quartiers jouxtant la City, ce constat donnant un poids supplémentaire au commentaire de Jean-Claude Trichet.
Concrètement, Browne et son compère Mats Persson, patron du laboratoire de pensée Open Europe qui propage les idées et réticences eurosceptiques britanniques avec une redoutable efficacité, proposent au gouvernement de Sa Majesté d’appliquer les médications suivantes, entre autres :
· donner aux Communes “le droit d’approuver la nomination des juges britanniques à la Cour européenne de justice” et “d’entendre leurs points de vue sur l’intégration européenne”, le but de l’opération étant évidemment de ne plus envoyer que des juges eurosceptiques à Luxembourg ;
· “traduire la Commission européenne devant la Cour européenne de justice pour les violations de la subsidiarité”, à savoir “le principe juridique qui sous-tend le localisme », le but étant là de ligoter la Commission ;
· introduire un “nouveau mécanisme” qui permettrait aux Etats, à ceux qui le veulent en tout cas, de “rapatrier les pouvoirs” délégués à l’Union dans certains domaines politiques et, en tout cas, “rapatrier unilatéralement jusqu’à 90 lois en matière de justice et d’affaires intérieures” ;
· renforcer la mainmise des Parlements nationaux sur l’évolution de la législation nationale et même des “décisions de la Cour européenne de justice », l’objectif étant encore de mettre en place une “task-force interparlementaire sur le localisme” dont la mission serait “d’agir indépendamment des institutions” de l’Union afin de veiller à ce que celle-ci ne s’implique pas dans des domaines devant rester l’apanage des gouvernements nationaux…
Arrêtons-là cette énumération affligeante ! Admettons-le : sur ce point, de Gaulle avait raison et Monnet tort. Et laissons, en cette triste affaire, le mot de la fin à Joseph Daul, le Français qui préside le Groupe du Parti populaire européen au sein du Parlement européen : “Ceux qui veulent sortir de l’Europe peuvent le faire en vertu de l’article 10 du Traité, ceux qui sentent mal à l’aise à l’intérieur des 27 et au regard de la méthode communautaire peuvent partir ».
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L’auteur : Michel Theys est un journaliste belge spécialisé dans les questions européennes. Sa société, EuroMedia Services, est active dans les domaines de la presse écrite et audiovisuelle.
(Merci à Aquitania)