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Marine T., 36 ans, professeure d’anglais, entame dans «Libération» sa chronique d’une année scolaire dans un collège réputé difficile de la région Paca.

[…] Mes élèves viennent des quartiers durs de la ville. Ils sont comoriens, maghrébins, gitans. Une majorité d’entre eux vit dans une misère incroyable. Ils font parfois autre chose que leurs devoirs en rentrant.

Dans leurs sacs de cours, ils peuvent avoir un couteau. Pour se battre, pour se défendre dans les guerres de gangs.[…] »


Le bruit, les élèves qui ne se rangent pas – enfin pas à la verticale, mais plutôt à l’horizontale -, les bagarres qui commencent entre deux rangs. Souaoufi, qui a visiblement bien entendu la sonnerie, finit une conversation apparemment très importante avec «un grand de troisième». C’est le début de l’année, je vais vers lui toute souriante et lui dis très doucement : «Bonjour, tu nous rejoins ? Allez, on y va.» Je me surveille : fais attention à ta voix, ne crée pas le conflit, ne crée pas le conflit, ne crée pas le conflit…[…]

Première petite trouille : une intrusion dans mon cours de deux élèves que je ne connais pas. Ils rentrent sans frapper. Je prends ma voix «de ventre» et leur dis bonjour, puis leur demande s’ils cherchent une salle. Ils rient. Repartent, musique à fond, en donnant un violent coup de pied dans ma porte et dans les murs. La peinture a enfin été refaite cet été… Il faut rassurer les sixièmes, leur montrer qu’il n’y a rien à craindre et se souvenir de ce que j’étais en train de leur expliquer. Ah oui… la phonétique.[…]

Soudain, ça hurle, des élèves hurlent, le nouveau collègue hurle. J’y vais, mais j’ai carrément la trouille. La porte de sa salle s’ouvre. C’est le chaos. Une bagarre a éclaté entre deux élèves de troisième, des caïds. Je les ai reconnus. J’ai encore plus la trouille. Le collègue «nouveau» est grand, c’est déjà ça. Il essaie de sortir un des deux caïds. Pendant ce temps, les autres élèves s’insultent, sont incontrôlables, ils ne nous voient plus, nous, les profs. L’étage est désert. Aucun surveillant. Nous perdons des postes chaque année. Enfin, le «nouveau» a réussi à faire descendre avec lui un des deux belligérants. L’élève lui a donné «[s]a parole» qu’il allait se calmer…[…]

L’année dernière, pleine d’entrain et d’optimisme, j’expliquais à une de mes classes très très difficiles l’importance de penser à plus tard, de commencer à construire son avenir maintenant, de faire son maximum. Moussa a levé la main et d’une voix très «adulte» m’a dit : «Madame, j’ai 15 ans, je gagne 150 euros par jour en chouffant [en clair, en surveillant les alentours pendant un deal]. Et ce n’est que le début. Alors, le collège, les livres…»[…]

Libération

(Merci à artichaud)

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