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Par Pascal Roussel, analyste au sein du Département des Risques Financiers de la Banque Européenne d’Investissement (BEI) et Administrateur de Pegasius SA spf. Auteur du livre « Divina Insidia, le Piège Divin ».

On connaît le vieil adage : « ne jamais croire en quelque chose aussi longtemps qu’elle n’est pas niée ». Actuellement le monde politique ne cesse de nier un éventuel défaut de la Grèce, un éclatement de la zone euro, une sous-capitalisation bancaire ou même la faillite d’une grande banque. Alors est-ce justement le moment d’y croire ?

Les « spécialistes » passent leur temps à nous rassurer : nous risquons un simple ralentissement de croissance sans plus. Pourtant, l’histoire récente a montré que lorsque l’on compare les prévisions de croissance effectuées par les institutions publiques souveraines, internationales ou européennes, par rapport à la croissance réellement observée après, on constate que ces prévisions ont toujours été trop optimistes car basées sur des modèles incapables de percevoir le caractère unique et historique de la crise que nous traversons.

La Banque des Règlements Internationaux, mieux connue sous le nom de banque centrale des banques centrales située au sommet de la pyramide, vient juste de publier un document dans lequel on peut lire (traduction libre) « les problèmes de dettes que les économies avancées doivent affronter sont encore pire que nous le pensions »…

« Actuellement les dettes ont atteint des niveaux supérieurs à tout ce que nous avons pu observer sauf en temps de guerre. Les ratios de dettes publiques sont actuellement sur une voie explosive dans bon nombres de pays. Ces pays vont devoir mettre en place des changements politiques drastiques. Une simple stabilisation risque de ne pas être suffisante. »

Ceux qui étudient les dessous de l’histoire de la finance savent que c’est un avertissement qu’il ne faut pas prendre à la légère !

Il est essentiel de bien comprendre que nous allons vivre des événements financiers exceptionnels, car jamais dans toute l’histoire de l’humanité on a utilisé la dette de quelqu’un comme moyen de paiement c.à.d. comme moyen d’échange. Depuis le 15 août 1971, la monnaie est créée à partir de dettes publiques et privées sans le moindre lien avec l’or et reposant uniquement sur la promesse des autorités publiques de ne pas faire tourner la planche à billets. Promesse non tenue.

Comme nous subissons cette crise au quotidien depuis plusieurs années, il est certainement utile de prendre de la hauteur pour rappeler brièvement comment nous en sommes arrivés là :

– Sous le règne d’Alan Greenspan, toutes les lois limitant la capacité des banques commerciales à mener des opérations autres que les simples opérations de prêts ont progressivement été abolies. De même pour toutes les lois interdisant de spéculer sur la nourriture.

– Gonflement d’une bulle internet en 2000.

– Explosion de cette bulle et attentat en 2001.

– Introduction massive d’instruments financiers nouveaux basés sur la titrisation.

– Développement exponentiel de l’usage des produits dérivés.

– Déclenchement de l’effondrement, en 2007, par incorporation de prêts subprime avec d’autres de meilleures qualités et par titrisation du mélange entraînant une contamination mondiale par propagation de l’ensemble des produits financiers liés au marché immobilier.

– Perte de confiance dans le système bancaire.

– Intervention massive des États pour sauver le système bancaire.

– Transfert de la perte de confiance dans le système bancaire vers une perte de confiance dans les États eux-mêmes.

Nous en sommes à ce stade. L’étape prochaine que le système bancaire craint tout particulièrement est bien entendu le défaut de paiement d’un de ces États.

Dans un monde entièrement bâti sur les dettes, il est logique que les banques soient au coeur de la crise.

Une banque fonctionne de manière schématique en empruntant à court terme auprès d’autres institutions financières ainsi qu’auprès de ses clients (en puisant dans leurs comptes courants et comptes d’épargne) et en prêtant à plus long terme cet argent. Le risque principal vient de ce que l’on appelle la gestion actif-passif qui vise à garantir à tout moment une adéquation entre les différences de maturités qui existe pour les emprunts et les prêts. Ce que craint essentiellement une grande banque, c’est de perdre la confiance des institutions qui lui prêtent de l’argent à très court terme. Cette perte de confiance conduisant à une spirale infernale :

Dans un premier temps, quelques contreparties inquiètes refusent de renouveler les prêts très court terme. Ce refus induit un stress sur la trésorerie de la banque, ce qui renforce l’inquiétude des autres institutions prêteuses, ainsi que des retraits de dépôts. Ceci induit alors un effet négatif sur le cours de bourse de cette banque et sur son ratio capital propre/ niveau d’endettement. Cela renforce encore davantage le refus de renouveler les prêts court terme. Résultat, les agences de notation dégradent la note de crédit de la banque.

Tout ceci déclenche des clauses contractuelles entre les prêteurs et la banque qui l’obligent à leur livrer brutalement des gages sous forme de titres financiers pour continuer à recevoir des prêts court terme dont sa survie dépend. Ce choc continue à affaiblir la trésorerie de la banque. On voit ainsi comment une spirale sans fin est amorcée. Finalement, les dépositaires individuels et les derniers prêteurs institutionnels court terme réagissent alors ensemble selon le principe « celui qui panique le premier a le plus de chance de récupérer son argent ». C’est exactement comme cela que Bear Stearns et Lehman Brothers ont disparu. Toute ressemblance avec la situation actuelle de certaines banques n’est peut-être pas une coïncidence.

On entend souvent que telle banque n’est pas aussi exposée à tel pays et qu’il n’y a rien à craindre. Mais il faut savoir qu’une banque garde ses instruments financiers dans deux types de portefeuille: un portefeuille de négociation et un portefeuille d’investissement (en général nettement plus important). Les titres contenu dans un portefeuille d’investissement ne sont pas destiné à être revendu, mais à être gardé jusqu’à leur maturité et, de ce fait, il n’y a aucune obligation pour la banque d’acter une perte si la valeur de marché de ces titres chute. C’est par exemple dans ce genre de portefeuille que les banques gardent les fameux actifs toxiques ou des titres souverains que plus personne ne veut acheter et dont la valeur est calculée par des modèles mathématiques.

Donc, pour préciser, même si la valeur de marché des titres contenus dans ce portefeuille d’investissement devait être réduite de moitié, cela n’aurait pas d’impact sur les fonds propres de la banque. Mais s’il y a un véritable défaut d’un État, la situation est toute différente car alors cela veut dire que même en gardant les titres jusqu’à leur maturité la banque ne récupérera pas le montant prêté. Ainsi, en cas de défaut, la moins value des titres doit être enregistrée dans tous les différents types de portefeuilles et la perte pour la banque devient nettement plus importante. C’est cet aspect qui est rarement mis en évidence dans les publications officielles des banques; elles peuvent déjà difficilement digérer des chutes de prix d’obligations souveraines, mais encore bien plus difficilement un défaut de paiement d’un État qu’elles redoutent comme la peste.

En Europe, le système bancaire d’un pays est généralement fortement exposé aux dettes bancaires et publiques des autres pays. Cette interdépendance rend le système vulnérable à un effet de contagion semblable à la chute de dominos. Ainsi la chute d’un petit domino peut entraîner en bout de chaîne la chute d’un gros domino. Il faut en effet bien comprendre que les banques sont par essence des institutions qui utilisent d’importants effets de levier. Traditionnellement, pour chaque euro de fonds propres, elles empruntent de 24 à 36 euros. Il en résulte qu’avec un ratio moyen de 30, il suffit de 3,5% de pertes sur le bilan d’une banque pour annihiler ses fonds propres.

LIESI

(Merci à danmaru touvabien)

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