Alors que le gouvernement américain s’atèle à mettre en place des réductions de budget qui toucheront tous les domaines, des dépenses militaires à l’assurance maladie en passant par la réparation des ponts, une des réductions envisagées, correspondant à 0,00025% de la valeur de réduction du déficit d’un montant de deux mille milliards de dollars a particulièrement retenu l’attention du public: le soutien aux marchés de producteurs locaux.
Ces 5 millions de dollars de subventions risquent de disparaître du budget agricole de 2012 et provoquent une grande inquiétude. La Farmers Market Coalition affirme que ce programme est «un succès unique dans l’histoire des politiques agricoles états-uniennes».
L’ère des cosmovores
Est-ce si surprenant? Les chaînes de supermarchés, de Whole Foods à Safeway ne cessant de proclamer qu’elles vendent des produits sains issus d’exploitations agricoles voisines, acheter localement et consommer des produits bios et non-génétiquement modifiés semble être une excellente idée pour vous comme pour la planète.
Voilà bien quelque chose que le gouvernement devrait soutenir, n’est-ce pas?
Et bien, pas vraiment. Car ces fétichistes du retour aux sources de l’alimentation sont un danger pour les personnes les plus pauvres à la surface du globe. Si vous voulez faire un vrai geste, laissez tomber le bio et l’achat local et devenez un consommateur global, mais averti. Nous devrions entrer dans l’ère des cosmovores –les consommateurs cosmopolites de la nourriture mondiale.
Ne diabolisons pas les OGM
Commençons par les modifications génétiques –les gènes d’un organisme sont insérées dans d’autres organismes par des scientifiques dans des laboratoires. Le ministre de l’agriculture de Pologne, Marek Sawicki, a récemment demandé que l’Europe interdise la culture et l’importation de produits génétiquement modifiés.
Mais pourquoi de nouvelles cultures labellisées OGM seraient-elles plus risquées que les anciennes semences «traditionnelles», dont les graines sont régulièrement bombardées de radiations afin de provoquer des mutations?
La Direction-Générale de la recherche et de l’innovation de la Commission Européenne a publié [pdf] en 2001 le résultat de 81 études sur les impacts environnementaux et sanitaires des OGM, dont aucune n’a mis en évidence un danger. L’Organisation Mondiale de la Santé a récemment confirmé «qu’aucun effet sur la santé des êtres humains n’a pu être démontré» qui soit lié à la consommation d’OGM.
Mais les inquiétudes demeurent, essentiellement en raison du manque d’analyses rigoureuses et de grande ampleur, et du refus des producteurs de semences modifiées de laisser libre accès à leurs données. Il est également avéré que de nombreuses plantes génétiquement modifiées n’ont pas obtenu [pdf] les effets escomptés et qu’ils ne constituent de toute façon pas la panacée.
Mais elles ont également enregistré des succès –avec des impacts positifs sur l’environnement et des retombées financières importantes. Les économistes Graham Brookes et Peter Barfoot, de PG Economics, estiment [pdf] que les pays ayant adopté du coton génétiquement modifié pour résister aux insectes ont vu la valeur de leur production augmenter de 13,3% ainsi qu’une baisse de 95% de consommation d’insecticides. Il y a bien des raison d’effectuer davantage de recherches et de tests sur les menaces et les bénéfices éventuels des OGM, mais il n’y a aucune raison de les diaboliser.
Le local n’est pas meilleur pour l’environnement
Et quid du «local»? Il se peut que des aliments produits localement aient meilleur goût pour certaines personnes. Et il est peut-être psychologiquement préférable d’être en contact étroit avec ceux qui produisent la nourriture que vous consommez. Mais cela ne la rend pas meilleure pour l’environnement.
Il est à titre d’exemple deux fois moins coûteux en termes énergétiques pour les Britanniques de consommer du lait de Nouvelle-Zélande que du lait produit en Grande-Bretagne. Il est quatre fois moins coûteux, en termes énergétiques, de consommer des agneaux élevés de l’autre côté du globe que de consommer des agneaux nés en Grande-Bretagne.
Cela est dû au fait que le transport ne compte que pour une part infime de l’énergie consommée par la production et la distribution de nourriture. Mieux vaut consommer de la nourriture en provenance de pays où la production est plus efficace. Le bétail de Nouvelle-Zélande, à titre d’exemple, broute de l’herbe dans les prés, tandis que le bétail britannique doit se contenter, pour l’essentiel, de fourrage, qui est très souvent importé.
Le grenier du monde
Et pourquoi les économies développement ne se contenteraient-elles pas d’être le grenier du monde? Certes, le transport de produits frais depuis le sud de l’Afrique vers l’Europe ou les États-Unis a un coût, mais il permet d’économiser le chauffage, l’éclairage et les coûts de constructions des serres conçues pour continuer de produire lors de la période hivernale, en Europe et aux États-Unis.
Le fait que la Gambie ait vu ses exportations de fruits et légumes s’accroître de 25% vers l’Union européenne ces dix dernières années (123.000 tonnes actuellement) est une bonne nouvelle. Nous ne devrions pas tenter de saper ces efforts à la base en tentant de construire une Arcadie sous verre.
Quels sont donc les bénéfices du bio en terme de réduction des coûts énergétiques et de la pollution?
Norman Borlaug, père de la révolution verte, estime qu’il nous faudrait entre 5 et 6 milliards de vaches supplémentaires pour fertiliser de manière naturelle notre taux actuel de production agricole –ce qui, naturellement, augmenterait la demande de production de fourrage et donc les besoins en terres agricoles.
L’emploi d’herbicides permet de laisser des terres en jachère. Si vous ne labourez pas la terre, vous n’érodez pas autant la couche arable –qui ne risque donc pas de se trouver emportée dans les rivières en ne laissant derrière elle qu’un «dust bowl».
La supériorité en termes d’occupation des sols, d’énergie et de productivité du bio sur l’agriculture conventionnelle dépend pour une large part de l’endroit et du type de semences [PDF].
Même les partisans du bio admettent [PDF] que dans les pays industrialisés, le rendement moyen des exploitations bio est inférieur de 8% à celui des exploitations conventionnelles. Et il suffit de faire un tour au supermarché du coin pour constater un écart considérable de prix.
Le lait bio coûte parfois deux fois plus cher que le lait de base, par exemple. Les pratiques de producteurs industriels américains, comme Stonyfield Farm, qui lyophilise du lait bio en provenance des producteurs néo-zélandais afin de l’expédier à Londonderry, dans le New Hampshire, où il est transformé en yaourt, tendent à faire encore augmenter les prix.
Le risque de manquer de nourriture
Cette efficacité moindre en matière agricole a une importance. Car ce qui est certain, comparé aux risques potentiels, pour la santé, des OGM, ou l’idée des bénéfices, pour la santé, de la consommation des de produits non modifiés génétiquement [pdf], c’est le risque sanitaire majeur de manquer de nourriture ou de manquer de variété.
Un milliard de personnes souffrent de malnutrition sur la planète; un bon nombre vit avec environ un dollar par jour. La meilleure façon d’aider les personnes pauvres à se nourrir correctement est de faire en sorte que la nourriture de qualité soit moins chère.
Plus nous attribuons de terres agricoles à des productions bio moins rentables, plus le prix de la nourriture augmente. Sur les exploitations tests, la production bio a démontré qu’elle pouvait être au moins aussi rentable que l’agriculture conventionnelle –et bien plus productive que la moyenne observée dans les fermes du monde en développement. Mais d’ici à ce que ces expériences puissent être reproduites en dehors des pôles de recherche agricole, le bio n’est pas l’ami des consommateurs les plus pauvres.
La plupart des personnes les plus pauvres sont des agriculteurs
Et ce luddisme de paroisse et de repli sur soi a des effets tangibles sur la capacité des producteurs des pays pauvres à sortir de la pauvreté par le biais du développement durable.
La plupart des personnes les plus pauvres du globe sont des agriculteurs. Bon nombre vivent dans des environnements pauvres en eau et sur des terres fragiles. Les herbicides et les produits génétiquement modifiés pourraient joueur un rôle considérable pour augmenter la productivité de leurs terres.
Mais quinze ans après que des plantes génétiquement modifiées aient été pour la première fois plantés à des fins commerciales, le Kenya, l’Afrique du Sud et le Burkina Faso sont les seuls pays d’Afrique sub-saharienne a avoir autorisé la culture d’OGM.
Cela est pour partie dû au fait que les agences d’aide européennes ont financé des consultants afin qu’ils mettent au point des systèmes régulateurs fondés sur les modèles restrictifs mis au point en Europe. Et les ONG européennes ont également menacé les gouvernements africains de voir leurs exportations vers l’Europe chuter si leurs produits étaient cultivés ne serait-ce qu’à proximité de plantations d’OGM.
Manger pour être un citoyen globalement responsable
Comment et quoi manger pour être un citoyen globalement responsable?
- Mangez moins de viande et opposez-vous aux programmes d’aides aux agriculteurs en Occident, particulièrement ceux à destination de l’élevage de bétail.
- Faites campagne contre les programmes de biocarburants aux États-Unis, qui consomment du maïs et le transforment en un carburant énergiquement très inefficace.
- Poussez pour que de nouvelles analyses soient effectuées sur les OGM.
- Encouragez le financement public de la recherche et des lois sur la propriété intellectuelle qui permettront à des agriculteurs pauvres d’éviter de se voir refuser l’accès aux bénéfices potentiels des graines génétiquement modifiées.
- N’achetez de la nourriture bio que si elle est aussi efficace, sur le plan du bilan énergétique, que l’agriculture conventionnelle.
- Et soyez un consommateur avisé: les produits locaux qui poussent en dehors de la saison et la viande engraissée avec du fourrage d’importation n’est pas bonne pour vous, pour l’environnement et pas davantage pour les pays émergents.
(Merci à PS & à MacFly)