Tribune libre de Paysan Savoyard
Parmi les raisons qui poussent les belles-âmes bienveillantes à faire preuve d’une grande longanimité envers les délinquants (« victimes des inégalités »), les sans-papiers (« victimes de l’égoïsme des pays riches »), les réfugiés de tous horizons (« victimes du sous-développement dont les occidentaux sont largement responsables »), l’idéologie tient le premier rang. La psychologie cependant joue aussi son rôle.
Premier mécanisme, bien connu, évident, celui de la bonne conscience. Souvent de gauche, souvent de culture chrétienne même lorsqu’ils sont devenus athées, la plupart des « bienveillants » vivent dans de bonnes conditions matérielles : ils en éprouvent une mauvaise conscience diffuse, qui les incite à se « racheter » en adoptant le parti de l’humanisme envers les « pauvres » (immigrés, habitants des pays d’Afrique, SDF, délinquants…).
Second mécanisme, tout aussi limpide. Beaucoup de gens de gauche ont fait du chemin depuis les années quatre-vingt. Ils ont vieilli, sont devenus aisés et même parfois riches. Il leur est devenu difficile de dénoncer l’argent dès lors qu’ils en sont désormais bien pourvus eux-mêmes ; ou de continuer à se situer dans le registre de la lutte des classes, puisqu’ils sont devenus membres à part entière de la couche dominante.»
Les progressistes ont donc remplacé, par un tour de passe-passe magistral, le contenu même de la mission impartie à la gauche. L’argent et les capitalistes ne sont plus des adversaires de premier rang. Les classes populaires d’antan ne sont plus des alliées (au contraire elles votent souvent Front national). La vocation de la gauche désormais est de s’intéresser avant tout à ceux qu’elle nomme les “exclus”. Il devient dès lors possible d’être aisé tout en restant progressiste puisqu’être de gauche consiste désormais à faire preuve de bienveillance envers les ressortissants du tiers-monde et les délinquants des cités.
Le troisième motif d’ordre psychologique qui conduit à adopter la posture de la bienveillance est proche de la bonne conscience mais d’une nature un peu différente tout de même. Il y a probablement chez les bienveillants quelque chose qui relève du mécanisme suivant. Lorsqu’ils pensent à la situation des « exclus » (petit dealer, squatteur, teneur de mur…), les bienveillants mesurent à quel point ils détesteraient se trouver dans une situation identique, ce qui les amène à se dire en substance : « Ces exclus sont dans une situation tellement peu enviable… On ne va pas les enfoncer un peu plus en les condamnant moralement, en les sanctionnant trop lourdement ou en les expulsant… ».
On peut dire que cette attitude compréhensive relève de la compassion, ce qui est tout à l’honneur des bienveillants sans doute. Pour notre part pourtant nous considérons cet apitoiement comme irrationnel et coupable. La société n’a pas en effet à faire preuve de faiblesse et à accepter les comportements déviants au prétexte qu’ils sont attribuables à des personnes issues de milieux défavorisés : si les normes de vie en société ne sont pas respectées par une partie numériquement significative de la population, toute l’architecture sociale en est déstabilisée et c’est la loi de la jungle qui s’installe de proche en proche, au détriment des plus faibles (personnes âgées violentées, jeunes rackettés, femmes seules avec enfants contraintes de vivre dans une barre d’immeuble livrée aux dealers…). En absolvant les « exclus », ce sont les vrais pauvres qu’en réalité les humanistes condamnent.
On peut également penser, s’agissant du comportement des bienveillants, à un autre mécanisme d’ordre psychique, plus secret, plus sournois, plus vicieux. L’attention portée aux exclus a pour intérêt, peut-être, pour certains progressistes de conforter leur propre équilibre psychologique. S’intéresser aux « pauvres » les aide en effet à relativiser leurs petits malheurs quotidiens : « Il y a tellement pire… ».
La sollicitude envers les “exclus” leur permet également d’améliorer l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et contribue à cicatriser les inévitables blessures narcissiques que la vie inflige à chacun : « Je n’ai pas tout à fait le statut social que j’aurais souhaité… Mais quand je vois tous ces paumés, je me dis que je me suis tout de même pas mal débrouillé ». Il s’agit là du même genre de satisfaction que celle que l’on peut ressentir lorsqu’on se trouve au volant d’un imposant 4X4 et que l’on toise d’en haut les conducteurs plus ordinaires ; du même type de plaisir diffus (et inavouable) que l’on éprouve le soir venu, lorsqu’assis confortablement dans son intérieur du centre historique de Paris meublé avec goût, l’on aperçoit par la fenêtre les quidams attendant sous une pluie battante le bus bondé qui les ramènera dans leur improbable banlieue.
On peut en cherchant bien repérer un dernier ressort psychologique de l’attitude bienveillante, qui, lui, est de l’ordre de la superstition. Il est très possible que l’humaniste bobo tienne in petto le raisonnement suivant : « Si je suis dur et indifférent envers les exclus, je risque d’attirer sur moi le mauvais œil (voire même, restons prudent, d’être mal considéré lors du jugement dernier, auquel je ne crois pas bien sûr, mais tout de même, on ne sait jamais…) ».
Résumons. Chez les progressistes, les humanistes et les bobos, le discours bienveillant est alimenté par un cocktail complexe : intérêt bien compris, bonne conscience à bon compte, compassion plus ou moins sincère, effet de gratification par contraste, jouissance de ressentir son appartenance à la classe supérieure, et même peut-être un zeste d’inquiétude métaphysique.
En attendant, pendant qu’ils cultivent leur image d’eux-mêmes et soignent leurs petits bobos à l’âme, les « bienveillants » sont en train de laisser détruire l’organisation sociale même qui leur a permis d’être ce qu’ils sont.