Tribune libre de Paysan Savoyard
La réforme de l’université menée par le gouvernement de M. Sarkozy a laissé entiers les deux dysfonctionnements majeurs qui frappent l’enseignement universitaire : le taux d’échec est élevé ; et même lorsqu’elles sont réussies, les études universitaires ne débouchent pas nécessairement sur l’emploi.
Nous poursuivons notre survol thématique du mandat de M. Sarkozy.
Dans le domaine de l’enseignement supérieur, la réforme principale introduite au cours du quinquennat est celle de l’autonomie des universités (loi LRU de 2007). Les universités pourront désormais réaliser des arbitrages entre les dépenses de fonctionnement, les dépenses de personnel et les investissements immobiliers par exemple, tandis que jusqu’alors leurs crédits étaient répartis entre les différents postes par le ministère lui-même. Bénéficiant de marges de manœuvre accrues, les universités passeront avec l’État un contrat pluriannuel définissant les orientations à suivre et une évaluation interviendra a posteriori.
Il s’agit là d’étendre à l’enseignement supérieur la logique qui depuis une trentaine d’années commande désormais l’action publique dans son ensemble : l’État utilise moins ses prérogatives dites de puissance publique mais passe des contrats ; il ne gère plus directement mais délègue ; il n’agit plus lui-même au quotidien mais contrôle a posteriori. C’est cette logique qui a conduit à la politique de décentralisation engagée dans les années quatre-vingt.»
Le passage à une logique contractuelle ne peut que satisfaire les décideurs locaux, qui voient leurs pouvoirs accrus, qu’il s’agisse des présidents d’université, des maires ou des présidents de régions et de départements. Toute la question est de savoir si l’État parviendra à exercer vis-à-vis des universités le rôle de tutelle et de contrôle qui lui échoit désormais. On peut craindre que les universités ne suivent la même pente que celle des collectivités locales : les élus locaux ont empoché l’autonomie accrue ; mais le contrôle par l’État qui en constituait la contrepartie est resté lui le plus souvent théorique.
Il est difficile de savoir si cette réforme LRU va à l’expérience se révéler ou non décisive. Les universités restent actuellement contraintes par le fait que tous les bacheliers ont un droit à l’inscription et que les frais d’inscription sont limités par la réglementation à un niveau faible. Mais peut-être l’autonomie débouchera-t-elle progressivement sur une concurrence accrue des universités, les plus attractives parvenant à instaurer une sélection de fait et à augmenter leurs tarifs de façon plus ou moins voyante.
Pour l’instant en tout cas le passage des universités à un régime d’autonomie a laissé de côté, nous semble-t-il, les enjeux principaux de l’enseignement universitaire. Celui-ci donne lieu en effet à deux dysfonctionnements majeurs, emportant chacun de graves conséquences :
– Les études universitaires se traduisent par un taux d’échec élevé.
Le bac étant maintenant distribué à presque 70 % d’une classe d’âge, il ne garantit plus le niveau scolaire de son titulaire. Or tout bachelier dispose d’un droit d’inscription à l’université, même s’il ne dispose pas du niveau requis. Dans ces conditions les études universitaires débouchent mécaniquement sur un échec important : 27 % des inscrits dans l’enseignement supérieur en sortent sans diplôme (soit 110 000 personnes par an) ; le taux de sortie sans diplôme est même de 34 % pour l’université hors IUT (il est à noter qu’une partie des étudiants faillis n’assistent de toute façon à aucun cours et se sont inscrits dans le seul but de bénéficier d’une couverture sociale). Ceux qui obtiennent un diplôme ont dû souvent redoubler et changer de filière : seuls 52 % des inscrits à l’université hors IUT passent directement en 2e année. (« Repères et références statistiques » pages n° 173, 204, 235, 263)
– Même réussies les études universitaires ne débouchent pas nécessairement sur l’emploi.
Les statistiques fiables manquent car il semble bien que les universités camouflent ou manipulent les données concernant le suivi des étudiants. Il paraît cependant indubitable que dans de nombreux cas la possession du diplôme ne débouche pas sur un emploi en rapport avec la formation dispensée, ni même sur un emploi correspondant à un niveau d’enseignement supérieur (les cas de titulaires d’une Licence devenus facteurs ou occupant durablement un emploi d’équipier Mc Do ne semblent pas exceptionnels). Certaines filières comptent un nombre d’étudiants tellement supérieur aux débouchés possibles que le diplôme obtenu ne revêt guère de valeur. C’est ainsi que les étudiants sont libres de s’inscrire, au gré des modes et par dizaines de milliers, dans des filières aux débouchés réduits telles que les STAPS, la psychologie ou la sociologie.
Cette situation résulte de ce que les pouvoirs publics ont eu la volonté depuis trois décennies d’augmenter fortement le taux d’accès à l’enseignement supérieur. Les gouvernements qui se succèdent affirment en effet que l’économie d’un pays comme le nôtre doit se spécialiser dans la production à haute valeur ajoutée ce qui suppose une haute qualification des emplois. Cette présentation des choses est une fiction et un mensonge. Les emplois les plus nombreux offerts par notre économie post-industrielle sont en effet soit des emplois peu qualifiés, soit des emplois supposant une qualification professionnelle qui ne s’acquiert pas dans l’enseignement supérieur : services à la personne (par exemple aides-soignantes dans les hôpitaux et les maisons de retraite), transport et manutention, commerce, restauration, bâtiment et travaux publics…. (voir le rapport du Conseil d’analyse stratégique)
La volonté des pouvoirs publics d’augmenter le nombre des étudiants est fondée sur un double motif. Il s’agit d’abord par démagogie de flatter l’électorat, celui des jeunes et de leurs familles, en faisant miroiter à tout le monde la perspective d’un avenir de diplômé en costume-cravate. Ce discours démagogique a contribué à dévaloriser les métiers manuels.
L’augmentation du nombre des étudiants a eu aussi pour intérêt de diminuer fortement le nombre des chômeurs. Le doublement du nombre des étudiants dans les années 80 (passé de 1 à 2 millions) permet de stocker à l’université des centaines de milliers d’étudiants sans perspective de diplôme ou de débouché professionnel véritable, en réduisant le chômage d’autant.
Cette situation a plusieurs conséquences catastrophiques :
– Elle se traduit tout d’abord par un gâchis d’argent public, l’accueil des étudiants en échec programmé nécessitant de recruter des enseignants, de construire et d’entretenir des locaux et des résidences universitaires, d’attribuer des bourses.
– Outre le fait que les intéressés perdent leur temps à l’université, cette situation a pour conséquence néfaste de faire naître chez eux un sentiment de frustration et d’échec. Elle développe également chez ces étudiants déçus un état d’esprit qui les conduira à rejeter toute perspective d’emploi dans les secteurs manuels et d’exécution : titulaires du bac et ayant passé plusieurs années sur les bancs universitaires, ils se sont installés dans l’idée que les emplois manuels ne leur étaient pas destinés. Une fois l’échec consommé, une grande partie de ces étudiants sans diplôme ou titulaire d’un diplôme sans débouché préfèrent se porter candidat pour un emploi bidon et temporaire dans l’administration (type emploi-jeune), avant de solliciter dans un second temps un autre emploi-bidon, cette fois ci en CDI, dans les collectivités (médiateurs, animateurs…). Une autre partie de ces étudiants s’installe dans l’assistanat. Le miroir aux alouettes universitaire constitue l’une des causes de ce phénomène catastrophique pour la société française : le refus d’une partie des jeunes sans qualification d’occuper les nombreux emplois pourtant disponibles.
Il nous paraît quant à nous évident que l’université doit être alignée sur les secteurs sélectifs de l’enseignement supérieur (BTS, écoles d’infirmière, grandes écoles…). L’accès à l’enseignement supérieur doit faire l’objet d’une sélection, le nombre de places offertes étant fonction des débouchés existant. Cette solution aurait plusieurs avantages :
– Elle éviterait l’échec et le gâchis et offrirait une quasi garantie d’emploi aux personnes sélectionnées (comme c’est le cas pour les écoles d’ingénieurs ou les écoles d’infirmières).
– Elle permettrait d’adresser un message clair à la jeunesse et à la société française dans son ensemble : les emplois manuels doivent impérativement être occupés.
Dans le domaine des études supérieures, M. Sarkozy et ses ministres se sont bien gardés d’adopter ce langage et cette politique de vérité, à l’instar de tous leurs prédécesseurs qui se sont succédé depuis les années 70. Certes ce discours est impossible à assumer en campagne électorale : mais il ne faudra pas trop attendre une fois passée l’élection pour avoir le courage de le tenir. La société française refuse massivement depuis des décennies d’occuper les emplois manuels et les emplois peu qualifiés. Cette attitude débouche sur deux phénomènes qui lui sont étroitement et mécaniquement liés : un assistanat massif ; une immigration massive. Il paraît assez clair qu’un tel système n’est pas viable à moyen terme.