Le mot est sur toutes les lèvres. Arnaud Montebourg l’a popularisé lors de la primaire socialiste. Ce qui ne manque pas de provoquer des crises d’urticaire chez les tenants du libre échange. L’Expansion.com vous livre les clés du débat.
Gérard Longuet trouve le concept « ringard et irresponsable », Pascal Lamy « réactionnaire » et Attac « superficiel et simpliste ». Quel est donc ce concept qui fâche aussi bien les altermondialistes que les chantres du néolibéralisme ? La démondialisation bien sûr. Et ils n’ont pas fini d’être fâchés. Le mot a été propulsé sur le devant la scène médiatique et politique : Arnaud Montebourg récemment, mais aussi Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, les partisans de la relocalisation de l’économie sont dispersés sur l’ensemble du paysage politique. Les clés d’un débat qui promet de marquer l’élection présidentielle de 2012.
La mondialisation a-t-elle échoué ?
Pour ses adversaires, la mondialisation a trouvé sa limite avec la crise financière de 2008 : la déréglementation généralisée des échanges est en effet responsable, selon eux, de la délocalisation, de la désindustrialisation et donc de la précarisation des salariés des pays développés mis en concurrence avec ceux des pays en développement. Précarisation qui a conduit à l’endettement dans les pays développés, ce qui a débouché sur le cataclysme des subprimes aux Etats-Unis et le déclenchement d’une crise financière mondiale.
Si les adeptes du libre échange ne nient pas que les inégalités aient augmenté ces dernières décennies, ils affirment que la mondialisation a sorti des centaines de millions de personnes de la pauvreté. Jean-Marc Vittori rappelle dans les Echos que « tous les pays qui ont émergé ces dernières décennies ont fait jouer le levier de la mondialisation, de la Corée du Sud au Brésil en passant par la Chine. (…) Et dans les pays émergents, même si les inégalités explosent, le pouvoir d’achat d’une large partie de la population augmente ».
Un argument que réfute le candidat aux primaires PS Arnaud Montebourg, auteur de « Votez pour la démondialisation ». Il estime dans un entretien à Libération que « la lutte contre la pauvreté par rapport aux milliards d’euros accumulés par la puissance chinoise n’est pas à la hauteur des espérances ».
Certains économistes libéraux reconnaissent les failles de l’ouverture des marchés, mais jurent que ce n’est vraiment pas le moment d’interrompre le mouvement. « Nous avons payé le coût de cette mondialisation. Maintenant, nous allons en tirer les bénéfices », prévoit dans le quotidien La Croix Patrick Artus, économiste en chef de la banque Natixis. « Les consommateurs émergents seront nos vrais clients de demain. L’avantage compétitif des usines chinoises sera nul dans six ans, car, chaque année, le coût salarial augmente de 8% et la monnaie chinoise s’apprécie de 5% ».
Que signifie “démondialiser » ?
Démondialiser c’est d’abord limiter le libre échange, à travers la relocalisation de la production et des emplois et le retour à un protectionnisme ciblé via des droits de douanes. L’objectif est aussi écologique: « produire à 20.000 kilomètres n’a aucun sens à un moment où l’atteinte à l’environnement est devenue un problème pour chacun des habitants de la planète », ajoute Arnaud Montebourg.
Démondialiser implique ensuite de définanciariser l’économie mondiale via la re-régulation de la sphère financière et la réintroduction de contrôles de capitaux.
Contrairement à ce que ses détracteurs prétendent, démondialiser ne signifie donc pas mettre fin au commerce mondial et vivre en autarcie. Ni limiter la libre circulation des idées, des artistes, des étudiants et des chercheurs…
A quel niveau démondialiser ?
C’est la question centrale qui oppose les démondialisateurs. Pour Montebourg, « le niveau pertinent pour combattre cette mondialisation, c’est clairement celui de l’Europe ». Le Parti de Gauche propose quant à lui une « nouvelle zone monétaire limitée aux seuls pays disposés à engager la refondation d’une union monétaire démocratique et progressiste ».
Mais d’autres, plus radicaux, ne croient pas qu’il soit possible d’appliquer des règles à l’échelle européenne. Pour Jacques Sapir, auteur de « La démondialisation », « il n’y aura pas de coopération entre les 27 pays de l’Union européenne, si ce n’est autour du plus petit dénominateur commun qu’est la déréglementation dans le domaine des marchandises, des capitaux et des lois sociales », écrit-il sur Médiapart. « Un processus de coordination, fondé sur des politiques nationales, apparaît comme une perspective bien plus réaliste ».
C’est pourquoi il est prêt à envisager une sortie de la zone euro. Redonner du pouvoir à l’Etat, c’est lui donner la possibilité de lancer un plan de relance ou de réguler la sphère financière, sans avoir à attendre que le reste du monde s’accorde pour le faire. Une thèse reprise par le Front National qui, outre la sortie de la zone euro, défend un protectionnisme aux frontières de la France afin de réindustrialiser le pays.
La démondialisation est-elle vraiment faisable ?
Pour ses partisans, elle passe par des mesures concrètes tout à fait applicables. Arnaud Montebourg imagine par exemple la création de normes salariales : « si les multinationales n’augmentent pas les salaires des ouvriers chinois, il n’y a aucune raison de ne pas taxer aux frontières européennes leurs produits ». Et d’ajouter : « face à une Chine qui pille nos technologies pour mieux les délocaliser, nous sommes naïfs. Toutes les nations mercantiles sont protectionnistes. Pourquoi l’Europe ne l’est-elle pas ? ».
Les tenants du libre échange répondent à cela que l’application de ce genre de taxes est impossible dans une économie déjà mondialisée. De fait, il n’y a pratiquement plus de produits entièrement fabriqués dans un pays et achetés dans un autre. Selon les calculs de l’OCDE, les exportations françaises sont composées pour plus du quart de produits auparavant importés. « Les chaînes de production se sont globalisées pour gagner en efficacité. Cela signifie que freiner vos importations revient à pénaliser vos exportations », renchérit le directeur de l’OMC Pascal Lamy dans un entretien au Monde.
Surtout, les opposants de la démondialisation pointent les risques de riposte. « La Chine pourrait par exemple décider de ne plus acheter à Airbus, à Areva et à PSA », avertit ainsi Jean Marc Vittori. Une critique reprise également par les altermondialistes.
Dans leur article sur Médiapart, des membres du conseil scientifique d’Attac assurent qu’ils veulent eux aussi « réduire le flux des marchandises et de capitaux, relocaliser les systèmes productifs » et « stopper la concurrence entre travailleurs et paysans du monde ». Mais la grande différence avec les démondialisateurs est qu’ils excluent que la France le fasse de manière unilatérale en imposant des droits de douane à ses frontières ou en sortant de l’euro. « Une dévaluation unilatérale ne ferait qu’enclencher des mesures de rétorsion et une aggravation de la guerre économique entre pays européens ».
Si le débat est loin d’être tranché, les plus optimistes font remarquer que la démondialisation n’attend pas pour se faire « naturellement » : certaines entreprises ont déjà commencé à relocaliser pour des raisons de qualité. C’est l’exemple de la vaisselle Geneviève Lethu ou des centres d’appels des Taxis bleus. Et avec avec la hausse des coûts de l’énergie, le renchérissement du transport devrait accentuer la tendance.