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José Manuel Barroso reçu vendredi à l’Élysée par Nicolas Sarkozy a appelé mercredi dernier l’Europe à recapitaliser « urgemment » ses banques pour stopper la contagion de la crise de la dette. Faut-il s’inquiéter ?

Atlantico : Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, crie à la crise systémique si les banques européennes ne sont pas vite recapitalisées. Le président de la Commission européenne José Manuel Barroso s’est également exprimé dans ce sens. La situation économique actuelle de l’Europe est-elle vraiment sur le point de basculer ? 

Paul Jorion : Depuis décembre 2009, lorsque l’on a commencé à parler d’un défaut possible de la Grèce, la situation n’a pas arrêté de se dégrader. Il y a certes eu quelques périodes intermédiaires d’accalmies correspondant aux mesures temporairement engagées par les politiques européens. Mais globalement, la situation n’a eu de cesse de se détériorer.

On parlait il y a quelques temps d’un défaut éventuel de la Grèce aux alentours de 15 milliards d’euros, or on est désormais à un montant de 400 milliards d’euros en se demandant s’il ne faudra pas davantage. Le retard à la détente de l’Europe fait que lorsqu’une mesure est prise, il est déjà trop tard, car le processus de dégradation est parvenu à un stade ultérieur.

Quand des dirigeants du niveau de José Manuel Barroso ou Jean-Claude Trichet lancent des cris d’alarme, c’est que la situation en est au point où ils essaient de se défausser, en affirmant “je l’avais bien dit”. Jusque là, leur position exigeait qu’ils tiennent un discours rassurant, alors que la situation ne l’était pas. Désormais, ils parlent, lancent des cris d’alarme, parce qu’ils savent que l’on est monté d’un cran dans la crise, voire davantage, et qu’ils ne peuvent pas se permettre d’être taxés dans le futur de ne pas avoir encouragé à prendre les mesures nécessaires.

Justement, avec des dirigeants du niveau de Jean-Claude Trichet et José Manuel Barroso qui tirent la sonnette d’alarme, l’adoption de directives précises pour la recapitalisation des banques sera-t-elle précipitée ?

Certainement, mais la solution n’est pas là. Certes les provisions des banques vont être augmentées, mais les calculs réalisés pour définir le volume de ces approvisionnements n’en restent pas moins biaisés, puisque produits à partir de données historiques passées.

Multiplier le risque du pire scénario par deux ou trois pour définir le volume d’approvisionnement ne rend pas compte de la gravité de la situation. La crise sera peut-être deux ou trois fois plus grave que celle de 2008, mais nous ne disposons d’aucune garantie chiffrée permettant d’attester de ce constat.

Ensuite, les calculs par provisionnements sont des mesures qui ne frappent pas au bon niveau. Il faudrait indiquer très exactement quels sont les défauts de la cuirasse, les zones de fragilité, et s’attaquer à ces dernières plutôt que de multiplier les réserves. En d’autres termes, il faudrait agir directement sur les causes de la crise, et pas simplement accumuler des provisions pour relancer le système bancaire européen.

La science économique actuelle ne produit pas de solutions efficaces, elle n’est pas adéquate, et n’a même pas réussi à diagnostiquer la crise. Il faut désormais impliquer des gens hétérodoxes qui se situent en-dehors de l’establishment économique pour trouver des solutions. Mais par définition on ne les écoutera pas, car on considère que l’expertise est du côté des gens dont les jugements ont été démentis par les faits depuis 2008.

Nicolas Sarkozy rencontre Angela Merkel, Jean-Claude Trichet et José Manuel Barroso s’affolent, doit-on comprendre que les dirigeants européens se sont accordés officieusement sur un défaut de paiement total de la Grèce ?

On peut supposer qu’un accord officieux a été conclu. Les chiffres de la croissance grecque ont prouvé qu’elle ne pourrait pas s’en sortir rapidement, et qu’il valait mieux passer par une restructuration de sa dette. Quel sera le chiffre effectif des pertes, on ne sait toujours pas… De quoi la Grèce dispose pour régler l’addition en cas de défaut de paiement quasi total, on ne sait pas…

Il y a eu des accords entre la France et l’Allemagne sur l’évaluation des pertes éventuelles. Les chiffres avancés divergent, et la France, plus mesurée, semble moins réaliste que l’Allemagne. Pourtant, en fonction de la perte encaissée, des décisions importantes devront être prises. L’évaluation de ces pertes ne peut donc être prise à la légère, et encore moins diverger selon des écarts trop abyssaux.

Il est possible qu’on ne soit pas obligé à un certain niveau de ne pas envisager la nationalisation des banques les plus exposées (30% de pertes), mais à 75% de pertes la donne change, et une nationalisation sera indispensable, parce que l’insolvabilité serait patente.

Quelles seraient les conséquences de ce défaut de paiement ?

D’abord l’Irlande et le Portugal seraient touchés, puis l’Espagne et l’Italie qui sont exposées aussi, et enfin la Belgique qui souffre du problème Dexia.

Dans le cas de Dexia, les valorisations faites par la Belgique et la France ont permis de déterminer le montant des pertes de manière à ne pas impacter la note délivrée par les agences de notation. Le calcul a donc été fait à l’envers d’après une logique ultime : celle d’une valorisation de la perte pour que la notation ne soit pas affectée.

Le jeu devient impossible, puisque la proportion des pays qui soutiennent économiquement les pays de la zone Euro les plus fragiles ne cesse de diminuer. Il est donc difficile d’imaginer que les plus forts pourront soutenir indéfiniment les plus faibles. A plus long terme, un effet domino pourrait emporter tout le monde, y compris l’Allemagne.

Il est tout à fait imaginable que les États européens se lancent dans la politique du chacun pour soi. Les pays les plus exposés seraient alors délaissés, et les pays les moins exposés à la crise pourraient procéder à un sauvetage de dernière minute de leurs banques. En résumé, l’Europe est plongée dans une situation désespérée.

A vous entendre, il n’y a aucun moyen de sauver la zone Euro dans son ensemble. Pas même le fédéralisme ?

C’est ce qu’on essaie de faire à marche forcée. En 1991, George Soros a fait tomber la livre britannique et a gagné énormément d’argent suite à diverses opérations financières. Si aujourd’hui il publie un communiqué dans lequel il appelle à sauver l’Europe, c’est que la situation est désespérée. Si elle ne l’était pas, il chercherait à gagner de l’argent sur le dos de la crise, comme il l’a fait auparavant. Le système tout entier risque de s’effondrer, et il n’aura bientôt plus la possibilité de faire des opérations financières, d’où son inquiétude.

On peut encore essayer de sauver le système, mais il faut intervenir maintenant, et cesser de discuter au fil des sommets mondiaux pour engager une véritable prise de décisions.

Jean-Claude Trichet sollicite une ouverture du capital des banques à de nouveaux investisseurs privés, ainsi qu’une recapitalisation par le fonds européen de stabilité financière. Selon lui, la Banque centrale européenne (BCE) ne devrait intervenir qu’en dernier recours. Qu’en pensez-vous ?

Trichet a raison, la BCE ne peut être qu’un dernier recours parce que c’est elle qui a accès à l’ultime recours, la planche à billet. Si la BCE saute, nous aurons grillé notre dernier fusible.

Atlantico

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