Concilier une croissance infinie et des ressources limitées ? Impossible pour les partisans de la décroissance. Ce courant de pensée, né dans les années 1970, prône donc d’en finir avec la logique du toujours plus et propose d’autres manières de concevoir le progrès social et économique que la mesure du produit intérieur brut (PIB). Or, cette théorie est très critiquée.
Histoire d’un mot
Le fondateur de la décroissance est l’économiste roumain Nicholas Georgescu-Roegen. En réfléchissant à la gestion des ressources épuisables et en étudiant l’économie avec les outils de la physique, il fonde, dans les années 1970, le concept de bioéconomie. Il pose ainsi les bases de la décroissance. Ses idées rejoignent celles du rapport Meadows, du nom de son auteur, un jeune économiste répondant en 1972 à une commande du Club de Rome. Ses conclusions : la croissance économique aboutira, à une échéance qui reste à déterminer, à une crise profonde- un rapport très tôt critiqué pour sa vision apocalyptique.
Nicholas Georgescu-Roegen a été traduit en français par Jacques Grinevald, qui le premier emploie le terme de décroissance. Il y a une dizaine d’années, essentiellement en France, des revues comme S!lence, Casseurs de pub, La décroissance remettent le concept au goût du jour. L’Institut d’études économiques et sociales pour la décroissance soutenable (IEESDS) est fondé en 2002.
Contre le développement durable
Pour les partisans de la décroissance, le développement durable est un oxymore : les deux termes s’opposent, se contredisent, laissant entendre que l’on peut continuer à se développer durablement, alors les ressources planétaires diminuent. Ceux-ci utilisent la « décroissance » comme un « mot-obus » pour remettre en cause le consensus.
«Le développement durable, cette contradiction dans les termes, est à la fois terrifiant et désespérant ! Au moins avec le développement non durable et insoutenable, on pouvait conserver l’espoir que ce processus mortifère aurait une fin, victime de ses contradictions, de ses échecs, de son caractère insupportable et du fait de l’épuisement des ressources naturelles…[…] Le développement durable, lui, nous enlève toute perspective de sortie, il nous promet le développement pour l’éternité ! », écrit Serge Latouche, un des principaux penseurs de la décroissance.
Contre le PIB
Symbole par excellence du système économique actuel, et l’un de ses principaux outils de mesure, le produit intérieur brut (PIB) est la cible des objecteurs de croissance. Car, selon eux, il ne prend pas en compte des aspects importants de nos sociétés : ni le secteur informel, ni le bien-être des populations, ni la santé des écosystèmes, etc.
Il mène parfois à des absurdités. Ainsi, un naufrage comme celui de l’Erika, sur les côtes françaises en 1999, fait augmenter le PIB : il fait fonctionner un certain nombre d’entreprises qui emploient des travailleurs. Il crée donc de la valeur. Et les bénévoles venus de toute la France pour nettoyer les plages ne créent aucune valeur, simplement parce qu’ils ne sont pas payés.
D’autres indicateurs pourraient remplacer le PIB : le programme des Nations unies pour le développement (PNUD) calcule l’indice de développement humain (IDH), il y a aussi l’indice de santé sociale, l’empreinte écologique, et même le produit intérieur doux, imaginé par un collectif de citoyens et économistes québécois.
L’effet rebond
Les objecteurs de croissance remettent également en cause les espoirs que certains fondent sur la technologie pour sauver l’environnement. Par exemple, si des progrès techniques permettent aux voitures de consommer moins de carburant, ce progrès est compensé par une augmentation du nombre de véhicules, ou leur plus grande utilisation. Et si on ne se déplace pas plus, les économies sont réinvesties dans d’autres biens de consommation, qui ne sont pas indispensables. C’est « l’effet rebond » : les économies que laisse espérer une nouvelle technologie sont partiellement ou complètement compensées par une adaptation de notre comportement.
La simplicité volontaire
Les décroissants prônent la simplicité volontaire. C’est-à-dire, la résistance à la société de consommation. Il faudrait se libérer de la télévision, de l’automobile, du téléphone portable, de la grande distribution, etc. Il ne s’agit pas de partir vivre en autosuffisance à la campagne, mais plutôt d’être lucide sur ses propres besoins, d’envisager autrement son rapport au monde. Faire des semaines de trente heures au lieu de quarante et adopter un mode de vie plus modeste, par exemple. Et profiter du temps gagné pour s’épanouir.
Principales critiques
« Les partisans de la décroissance posent les bonnes questions, mais ils apportent de mauvaises réponses », écrit Denis Clerc, dans Alternatives économiques. Il exprime ainsi une idée partagée par une grande partie des très nombreux critiques de la décroissance.
Selon lui, ce n’est pas la croissance économique dans son ensemble qui fait peser des menaces sur la planète et l’humanité, mais « quelques-unes de ces composantes : l’automobile et le transport routier, la chimie… Des activités qui, tout importantes qu’elles soient, pèsent entre 10 % et 15 % du produit intérieur brut (PIB), contre plus des deux tiers pour les activités tertiaires. » Mais certaines part de l’activité économique sont « génératrices d’une forte utilité sociale » en de faibles retombées environnementales : services aux personnes, aux entreprises, services publics, etc. Pour lui, les objecteurs de croissance sous-estiment les énergies renouvelables et les progrès techniques qui vont permettre d’optimiser les consommations d’énergie. Il mise sur un rôle plus important du marché, pour rendre les énergies renouvelables attractives, et de l’état pour développer les transports en commun, restructurer l’espace urbain…
D’autres critiques mettent en avant les capacités d’autorégulation du marché ; la nécessité d’un plus grand contrôle des stratégies de la croissance – idée répandue notamment chez les marxistes.
Pour certains « tiers-mondistes », la décroissance serait un concept de pays riches, qui, sous couvert de protéger l’environnement, viserait en fait à empêcher les pays émergents de se développer.