Dans son intervention télévisée, le Président a voulu faire la preuve de la validité de sa politique: durant la crise, la dette française s’est beaucoup moins accrue que celle des voisins. Mais cette affirmation ne résiste ni aux chiffres, ni à l’analyse.
Salut l’artiste ! Une nouvelle fois, comme après chacune de ses interventions télévisées, il faut en effet saluer le grand art du chef de l’État en matière de communication. Hier soir, devant 11 millions de téléspectateurs, Nicolas Sarkozy a affirmé, péremptoire, que, depuis le début de la crise:
“La dette française a évolué trois fois moins qu’en Espagne, quatre fois moins qu’en Angleterre, cinq fois moins qu’aux États-Unis. Pourquoi ? Parce qu’entre temps nous avons fait les réformes nécessaires.”
Des chiffres impressionnants, en effet, qui démontrent, de façon éclatante, combien la gestion française de la crise a été bien plus efficace que celle des autres pays.
L’affirmation du Président s’appuie sur le pourcentage d’augmentation de la dette publique par rapport au PIB. Si l’on prend les chiffres de l’office statistique européen Eurostat et que l’on compare les dettes publiques en 2007 et en 2010, on observe que ce ratio a augmenté de 28% pour la France, de 68% pour l’Espagne et de 81% pour le Royaume-Uni.
Du péché véniel…
Première remarque: cette hausse est 2,4 fois moins rapide en France qu’en Espagne (et pas trois fois) et 2,9 fois qu’au Royaume-Uni (et pas quatre fois). Il y a exagération. Un péché véniel, reconnaissons-le.
Passons aussi sur le fait que le président s’est bien gardé de citer l’Allemagne et l’Italie où le ratio de l’endettement public a, cette fois, augmenté moins vite qu’en France… Des pays mieux gérés ? Pour l’Italie, on peut avoir un doute.
En fait, en se focalisant sur l’évolution des ratios, le président fait bon marché des effets de niveaux. L’impact d’une crise mondiale sur des économies comparables doit logiquement être à peu près le même. Mais un pays dont la dette publique est plus faible au début de la crise voit celle-ci augmenter davantage, en pourcentage, que celle du pays où elle était plus élevée. Il est donc logique qu’en partant d’un ratio de 36,2% et de 44,4% du PIB, l’Espagne et le Royaume-Uni aient vu ce ratio s’accroitre plus vite que la France qui partait, elle, de 64,2% en 2007. Le raisonnement fonctionne à l’inverse pour l’Italie qui partait d’un endettement de 103%.
… à la grosse manip
Donc, il est beaucoup plus pertinent, si l’on veut faire une comparaison valable, de partir des chiffres d’augmentation en valeur et pas en pourcentage. Que voit-on ? La dette publique française s’est accrue de 380 milliards d’euros en quatre ans, celle de l’Espagne de 260 milliards, celle du Royaume-Uni de 444 milliards.
Si l’on pondère ces chiffres en fonction des PIB, que constate-t-on ? Que la dette française n’a pas augmenté trois fois moins que celle de l’Espagne (soit – 66%) mais 20% de moins. Et pour la Grande Bretagne, ce n’est pas quatre fois moins, mais seulement un quart de moins. De un à cinq, la nuance est de taille !
Pour compléter le tableau, la dette italienne s’est accrue nettement moins que celle de la France (+ 240 milliards) tandis que la dette allemande (+ 479 milliards) s’est accrue, en réalité, un peu moins si l’on tient compte de la différence de PIB. Conclusion: la France se situe juste au milieu des grands pays européens en matière d’alourdissement de la dette.
Une réalité qui ne permet, en rien, de valider la politique économique de Nicolas Sarkozy.