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Les dix-sept membres de l’union monétaire ont besoin de Pékin pour muscler le bras armé financier de l’eurozone, le FESF (Fonds européen de stabilité financière). Cela fait partie du programme d’aide à la Grèce adopté lors de leur sommet du 27 octobre. L’Union européenne (UE) entend que la Chine investisse davantage dans le sauvetage de l’euro.

A en croire les réactions enregistrées sur la blogosphère locale (Le Monde du 3 novembre) et à lire les commentaires de la presse, les Chinois ne sont pas enthousiastes. Ils pointent le côté pour le moins paradoxal de la démarche de l’Europe. La Chine, brassard numéro 95 au classement des pays en fonction du produit intérieur brut par habitant, devrait venir au secours de la Grèce, qui occupe le 30e rang sur cette même liste !

L’empire du Milieu, dont plus de 200 millions de ressortissants vivent avec moins de 2 dollars par jour, est appelé à l’aide par une UE qui se targue de représenter le modèle social le plus avancé de la planète. En moyenne, un Européen dispose d’un revenu près de dix fois supérieur à celui d’un Chinois.

La Chine a beau être la deuxième économie du monde, elle est loin d’être cette puissance prométhéenne trop souvent décrite à l’Ouest. Elle est traversée de maux économiques, environnementaux, démographiques et sociaux graves, profonds, qui requièrent des investissements lourds. Bref, elle devrait trouver meilleur emploi de son épargne que de la mettre à disposition des dispendieuses social-démocraties européennes.

L’opinion publique existe en Chine, diverse, multiforme, contradictoire, impossible à stéréotyper. Elle se fait entendre, elle pèse sur les choix du gouvernement. Éditorial du Global Times, autre quotidien “autorisé “, le 28 octobre : “La riche Europe s’adresse à la Chine pour avoir des liquidités (…) beaucoup, ici, ne peuvent pas le comprendre “, et ils comprennent d’autant moins que les médias chinois mettent l’accent sur les immenses besoins en capitaux qui sont ceux du pays.

Sauf que… Sauf que la Chine, et c’est le paradoxe du paradoxe, n’a pas vraiment le choix. Elle a opté pour un mode de développement qui la condamne à aider l’euro – au moins un peu. Derrière l’investissement, les exportations sont l’un des moteurs importants de sa croissance ; plus important encore, les grandes industries exportatrices, souvent des sociétés publiques, sont l’un des principaux employeurs du pays : elles garantissent en partie la stabilité sociale.

Grâce à ses succès sur les marchés étrangers, la Chine engrange des montagnes de devises. Comme le yuan, la monnaie chinoise, n’est pas convertible, un exportateur chinois qui rapatrie ses euros, ses dollars ou ses yens ne peut les utiliser à domicile.

En échange de yuans, il va confier ses devises à la Banque centrale chinoise. Laquelle doit bien les placer quelque part et achète, notamment les bons du Trésor émis par les États-Unis et par les membres de la zone euro pour financer leurs déficits budgétaires.

Pourquoi ? Parce que ces marchés-là, ceux des obligations publiques américaines et européennes, sont les seuls suffisamment profonds pour absorber les réserves chinoises. Mais la loi de l’engrenage joue aussi : pour préserver la valeur de ses acquis en dollars et en euros, Pékin est condamné à soutenir ces deux devises, donc à acheter de la dette souveraine – des bons du Trésor – américaine et européenne.

La Chine n’a aucun intérêt à laisser tomber l’Europe, son premier partenaire commercial, ou les États-Unis, son troisième ou quatrième débouché à l’exportation.

Sur les quelque 3 200 milliards de dollars de réserves de change accumulées par la Chine en moins de dix ans, plus de 1 200 à 1 600 seraient aujourd’hui investis en bons du Trésor américains, en quoi la Chine manifeste son immense confiance dans l’avenir de la première économie du monde, et quelque 600 milliards en euros, façon de dire qu’elle ne désespère pas tout à fait de l’Europe non plus.

Tant que le Parti communiste chinois ne prendra pas le risque de rendre le yuan convertible – ce qui entraînera sa réévaluation et pénalisera les exportateurs nationaux -, il se condamne à être ainsi l’un des principaux banquiers des États capitalistes de l’Ouest. Curieux destin pour une vieille formation léniniste. Mais il est vrai qu’à Pékin, camarades, tout est pimenté “aux caractéristiques chinoises “, notamment le socialisme !

En privé, les officiels chinois reconnaissent volontiers, sinon le piège, du moins les limites dans lesquelles les enferme ainsi un modèle de croissance qui donne une trop grande place à l’exportation.

Pour eux, le fait de devoir se porter au secours de l’euro (ou du dollar) n’est pas forcément un signe de la bonne santé économique de la Chine. Qui est le plus dépendant de l’autre dans l’histoire : le banquier ou son client ?

C’est ce que n’ont pas compris les dirigeants du PS français. Ils ont cru devoir condamner à l’avance la perspective d’une nouvelle assistance chinoise à l’euro. Parce que Pékin exigera des contreparties, François Hollande et Martine Aubry évoquent l’asservissement de l’Europe à la Chine. Préféreraient-ils que la banque centrale chinoise privilégie encore davantage le dollar à l’euro ?

Le Monde

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