L’historien français Pascal Blanchard publie aux éditions La Découverte, La France noire, trois siècles d’histoire des Noirs en France. Une histoire largement méconnue et qui charrie beaucoup de préjugés et de malentendus.
RFI : Pourquoi a-t-il fallu attendre si longtemps pour qu’en France, on publie un ouvrage intitulé « La France noire » ?
Pascal Blanchard : Peut-être parce qu’il s’appelle «La France noire» et que, d’une certaine manière, il est global. On n’a pas souhaité être parcellaire dans les histoires qu’on voulait raconter. Ce livre s’inscrit dans le temps, ce qui est une grande nouveauté parce qu’il commence au XVIème, XVIIème siècle, au moment des premières présences africaines, caribéennes, sur le sol de France hexagonale. Nous avons choisi aussi une approche très particulière, en ne nous intéressant qu’à l’Hexagone. Ce n’est pas à l’histoire de l’Afrique, des Antilles, de la Guyane ou de la Réunion, que nous nous intéressons. C’est vraiment l’histoire propre en métropole de populations perçues, vues ou qui se revendiquent noires à travers les siècles jusqu’à nos jours. Elle est plus paradoxale et complexe que vous l’imaginez. Elle n’est pas qu’une histoire de souffrance.[…]
On a oublié qu’à un moment la France a été la «seconde nation des Noirs», comme disaient les Afro-Américains à l’époque” […] La négritude est née à Paris” […]
RFI : Il y a, selon vous, une volonté des politiques notamment, mais aussi de certains segments de la société de ne pas voir cette « France noire » ?
P.B. : Oui, ne pas vouloir la voir, ne pas vouloir qu’on en parle et considérer même que c’est, d’une certaine manière, une question presque inacceptable. Ce ne serait pas un domaine de recherche comme un autre. Le faire serait un livre de Noirs, pour les Noirs, par les Noirs, pour simplifier un tout petit peu. Ce qui prouve bien qu’ils n’ont pas vraiment compris ce que pouvait être une réflexion quand on prend un prisme comme celui-là. Quand on travaille, par exemple, sur la présence juive en France, personne ne va dire que c’est un livre de juif pour les juifs. Quand on dit Noir, ça perturbe y compris d’ailleurs, je tiens à le dire, des Antillais, des Africains, qui disent je ne suis pas dans la même histoire. Le but n’est pas de savoir si on est ou pas dans la même histoire. Quand je raconte l’histoire de France, ils sont dedans. Le débat ne se pose pas. Quand je raconte l’histoire des gens qui ont été perçus comme Noirs, ils sont dedans.[…]
RFI : On a l’impression en France notamment qu’on a du mal à séparer l’émotion de la rationalité quand on parle des Noirs ?
[…] N’oublions pas que ce qui vient heurter cette histoire, ce n’est pas simplement le fait qu’ils soient noirs ou perçus comme tels.C’est aussi le fait que trois grandes histoires émaillent notre relation à ce passé : celle de l’immigration, celle de la colonisation et celle de l’esclavage. Trois histoires mal assumées” […]
Donc des histoires qui font question et, comme par hasard, le cheminement des populations noires à travers ces trois histoires est omniprésent.
RFI : Justement, on a le sentiment en France que le discours politique s’est construit sur les Noirs en fonction des intérêts qu’il y avait à en faire des bons sauvages ou des bons patriotes pendant la guerre ?
P.B : L’instrumentalisation.
C’est nous qui définissons – quand je dis nous, nous le «grand Blanc», le «penseur de la nation» qui définit la place de cet autre, Noir, dans la société française.” […]
La France est un pays totalement paradoxal parce qu’en même temps elle a certainement inventé, avant tous les autres, la notion de société métisse.[…]
Nous sommes le seul pays au monde à avoir cette histoire qui fait que négrophilie et négrophobie pouvaient fonctionner en même temps, voire en concomitance, voire des fois même s’entremêler. Et cette histoire, elle est unique. C’est peut-être le point le plus positif. On n’a pas besoin nous d’inventer un modèle. On l’a déjà inventé il y a un siècle.[…]
RFI – 07/11/2011