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Documentaire sur la crise et le chômage depuis les années 70, qui met également en lumière l’inefficacité des politiques suivies. Un remarquable documentaire avec des documents rares, construit avec efficacité et rigueur.

Comment a-t-on pu accepter l’augmentation du nombre de chômeurs jusqu’à plus de trois millions aujourd’hui, quand, en 1967 (250.000 demandeurs d’emplois), Georges Pompidou s’inquiétait : « Si un jour on atteint les 500.000 chômeurs en France, ça sera la révolution »…

Le film retrace en deux parties (1967-1981 et 1981-2001) 35 ans d’histoire sociale et politique du chômage, et le travail idéologique effectué pour faire accepter à la population française l’existence du chômage.

Première partie : 1967-1981

Ouverture sur une intervention de Pompidou à la télévision, qui déclare : «Étant donné les mutations de nos sociétés actuelles, nous devons considérer l’emploi comme un problème permanent ». La région du Nord est la première et la plus touchée par les mutations industrielles. Or à l’époque le chômage est peu protégé et peu indemnisé. Ce qui amène Jacques Chirac, alors jeune secrétaire d’état à l’emploi, à créer l’ANPE en mai 1967.

La France va, dès lors, s’enfoncer dans le chômage. L’ouverture des frontières en 1968 met l’économie française face à une concurrence à laquelle elle n’est pas préparée. « Nous serons donc en risques permanents » avertit Pompidou, qui ajoute que les chefs d’entreprise « doivent vivre dans une préoccupation constante ». Fin 1967, il y a 400.000 chômeurs et un téléfilm, « De la belle ouvrage » se penche sur les problèmes des ouvriers remplacés peu à peu par les machines.

Mais la classe ouvrière reste encore puissante, et la première séquence du documentaire de Gilles Balbastre s’intitule d’ailleurs : « 1968-1973 : apogée de la classe ouvrière ».

Suite au mouvement de 1968, les accords de Grenelle ont permis de relancer la croissance. Mais c’est une période de rapports sociaux très durs. En octobre 1970, dans l’émission « à armes égales » où se retrouvent face à face Séguy / Ceyrac , le film de la CGT présenté pour ouvrir le débat donne le ton .

Un premier carton pose la question : « A qui appartiennent les usines ? ». Réponse : aux de Wendel, Rothschild, Dassault…

Le second carton enchaîne : « Qui crée, dans ces usines, ces laboratoires, ces ateliers, ces richesses ? ». Réponse : les travailleurs.

Puis le troisième carton enfonce le clou : « Qui en profite ? ». Réponse : une poignée d’exploiteurs.

La phrase de Marx conclut : « Pour produire, les travailleurs n’ont pas besoin des exploiteurs, mais les exploiteurs ont besoin des travailleurs ».

Les grèves se multiplient dans les secteurs les plus durement touchés, en particulier l’industrie automobile, tandis qu’en 1971, le nombre de chômeurs atteint 500.000. En 1973, les 1.300 salariés de Lip organisent une grève autogestionnaire pour contester le dépôt de bilan. Cette grève, « Insurrection de l’esprit » selon Rocard, va servir d’exemple à d’autres entreprises, telles, ces ouvrières d’une usine textile en Vendée qui prennent en charge la production en chantonnant : « Travailler pour nous c’est doux » sur l’air de : « boire un petit coup… ».

A cette effervescence jubilatoire, va, hélas, succéder une période plus sombre :

C’est le second volet du documentaire : « 1974-1976 : la crise ». Il y a bien sûr le choc pétrolier de 1973, qui entraîne des mesures draconiennes mais dérisoires pour économiser l’énergie. Exemple : plus de télévision après 23 heures.

La crise cependant, est aussi due aux transformations technologiques, et le chômage s’accélère. L’annonce des 1 million en 1975 crée un véritable choc. Même les cadres sont touchés et, peu à peu, le chômage fait naître un sentiment de culpabilité. On est considéré comme des parias.

En mai 1976, Giscard annonce une reprise alors que l’austérité sera la politique dominante de son gouvernement, de 1976 à 1981.

Comme le dit Stoléru : « Barre a sifflé la fin de la récréation ». Car Barre considère que : « La France vit au dessus de ses moyens » et l’emploi passe au second plan. D’ailleurs, le chômage est inéluctable comme François de Closets essaie d’en convaincre les français à la télévision.

Dans le même temps, les « stages Barre » voient le jour pour améliorer la formation des jeunes au chômage. Mais on assiste à la montée inexorable des chiffres – en 1980 , 1,5 million de chômeurs. En 1978, la restructuration a entraîné 20.000 suppressions d’emploi dans la sidérurgie. La Lorraine et le Nord deviennent des régions sinistrées, « on dirait que la guerre a passé » dit un ouvrier dans un documentaire de Karlin sur les chômeurs tourné sous Giscard mais présenté à la télévision seulement après 1981.

En1979, en haut du crassier de Longwy, on peut lire trois lettres géantes : S.O.S. C’est le dernier cri des mineurs lorrains qui n’acceptent pas de disparaître en silence, au nom d’une décision prise ailleurs et depuis longtemps. Mais les luttes, faute aussi d’unité syndicale, sont de plus en plus difficiles. C’est pourquoi l’arrivée au pouvoir de Mitterrand est tellement porteuse d’espoir. Mauroy d’ailleurs n’hésite pas à dire : « Nous allons entrer en guerre contre le chômage ». C’est vrai que 1981 apporte quelques améliorations sociales mais sans juguler le chômage qui atteint, en 1983, 2,2 millions.

Deuxième partie : 1981-2001

1982-1983 marque un tournant. « Patience – Solidarité » demande Delors, qui engage la France dans une politique de rigueur avec la dévaluation du franc au détriment de la relance. Ce qui ne va qu’accentuer la fracture sociale. Commence alors « la casse industrielle : 1983-1984 » avec, en particulier, le plan acier qui entraîne de violentes manifestations à Longwy.

« Nous vous démissionnons » lance un manifestant au député PS. Les ouvriers se sentent trahis et on assiste à un recul social qui touche surtout les jeunes et les chômeurs de longue durée. En février 1984, est diffusée l’émission télévisée : « Vive la crise » avec un Yves Montand qui nous fait la leçon. « L’horreur », reconnaît Chevènement.

Ce qui est sûr c’est que l’émission reflète parfaitement l’état d’esprit du moment, à savoir l’abandon par la gauche des classes populaires. Toutes les valeurs de la gauche sont mises à mal. Vive le culte de la réussite ! L’Amérique de Reagan montre l’exemple et nos intellectuels, tels Laurent Joffrin de « Libé », enfoncent le clou. C’est l’époque Tapie dont le slogan est : « Imaginatif – Vendeur – Meneur ». Les conquêtes sociales sont remises en cause.

Il s’agit de diminuer le coût du travail pour augmenter le profit. Il y a explosion de le précarité avec les TUC , les CES qui entraînent une chute de la syndicalisation. Non seulement, on note une rupture entre les générations ouvrières mais aussi une rencontre désormais impossible entre les intellectuels et les ouvriers. En décembre 1985, Coluche crée les Restos du cœur pour les exclus de plus en plus nombreux. En décembre 1988 est mis en place le RMI. Mais rien n’arrête le « raz de marée » du chômage, avec de véritables « charrettes » de licenciements qu’impose l’Europe qui se met en place.

Avec aussi une augmentation du temps partiel, donc des emplois précaires et corollaire oblige la violence urbaine qui explose. En 10 ans augmentation du taux d’incarcération de 30%. Les titres de cette seconde partie sont évocateurs : « La société décomposée », « L’emploi en miettes ». Gilles Balbastre fait là l’histoire d’une défaite sociale et politique. C’est clair : les ouvriers ont été trahis et les inégalités ont été acceptées « comme on accepterait un changement de climat » selon Mermet. Constat désespérant qui se termine par cette phrase de Krasucki qui nous rappelle que perdre son travail, c’est perdre sa dignité : « Il n’y a pas de moyens de coercition pire que le chômage ».

(Merci à Eisbär)

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