Par Pascal Roussel
L’erreur dans la situation actuelle serait de ne pas prendre de recul, d’oublier qu’une guerre monétaire est en cours et de perdre de vue que la presse financière essentiellement anglo saxonne se concentre sur les dettes souveraines en Europe.
Rappelons que la mis à jour de l’existence des fameux swaps grecs établis grâce à Goldman Sachs et utilisés pour camoufler des dettes supplémentaires a été le détonateur de la crise Grecque. Dans un premier temps, ces révélations « surprises » ont été bien profitables à certains acteurs financiers américains. Mais si par hasard, on devait apprendre un jour que d’autres pays du sud ont utilisé ce genre de camouflage complexe, cela ferait l’effet d’une bombe « nucléaire » financière. Officiellement mis à part la Grèce personne n’a été tenté …
Or le problème avec les bombes atomiques c’est que le vent peut ramener des particules mortelles sur ceux qui sont à l’origine de la détonation. Les banques américaines sont loin d’être immunisées aux problèmes des banques européennes et des dettes souveraines en Europe. Ceux qui ont profité de la crise de l’euro au début en lâchant la bombe grecque risquent bien de voir un retour de flammes.
Le problème congénital de l’euro, à savoir qu’il repose sur une désunion fiscale, apparaît clairement. Jusqu’à présent toute convergence fiscale et/ou supervision par Bruxelles des budgets nationaux a toujours été un sujet tabou mais depuis des siècles, les élites qui décident ont toujours estimé que c’est grâce aux crises que les populations acceptent les plus grands changements. C’est ainsi que l’on apprend que différents scénarios sont à l’étude tels la création d’un euro du nord, la sortie de l’Allemagne de la zone euro, l’expulsion de pays « faibles » de la zone euro, …etc
Mais ce genre de mesures très radicales ne s’implémentent pas du jour au lendemain. On voit déjà à quel point il est difficile de mettre en place des mesures plus classiques : création d’un fonds destiné à racheter tout ce que les banques ne veulent plus garder ou acheter elles-mêmes. Malgré des effets d’annonce, il reste beaucoup d’incertitudes sur la manière dont le Fonds Européen de Stabilité Financière (FESF) va pouvoir se financer à hauteur des attentes.
Ainsi on vient d’apprendre dans la presse que pour pouvoir émettre pour seulement 3 milliards d’euros d’obligations à 10 ans afin d’aider l’Irlande, le FESF a dû racheter discrètement ses propres obligations ( c.à.d. sa propre dette) afin de maintenir les taux. Signalons toutefois que le FESF a démenti ces informations. Quoiqu’il en soit, les acteurs du marché craignent les incertitudes et il faudra attendre que la situation soit encore bien plus désespérée pour que les décideurs osent prendre le risque de proposer des mesures plus draconiennes et donc beaucoup plus incertaines. Mais le fait que la presse traditionnelle les évoque, montre que les autorités commencent à comprendre la gravité de la situation.
Les États-Unis quant à eux, avaient aussi envisagé la création d’une banque poubelle mais finalement ils ont assez vite compris qu’elle serait impossible à financer et ont préféré laisser la Fed acheter les actifs toxiques et soutenir artificiellement la bourse et toute la courbe des taux souverains américains. La Fed a ainsi acheté pour 3000 milliards de dollars de titres américains, en quasi deux ans.
Il faut dire que c’est nettement plus simple quand on crée soit même l’argent. Malgré toutes les attaques l’euro n’a pas encore franchement baissé face au USD. C’est probablement lié à cette création monétaire américaine mais va-t-on voir la BCE suivre les traces de la Fed ? C’est bien possible compte tenu des difficultés pour le FESF de trouver une source de financement et vu l’arrivée d’un nouveau patron à la tête de la BCE, Mario Draghi, qui dès son installation s’est empressé de réduire les taux. Cela permettra de gagner encore un peu de temps avant l’effondrement final. On verrait alors l’euro baisser face au dollar et les capitaux se ruer vers l’or ou l’argent physique comme ultime refuge et vers le seul endroit où il y aura une demande garantie, à savoir la nourriture. Mais ce n’est pas encore dans l’immédiat.
On lit souvent que le problème viendrait du fait que certains pays comme la Grèce ou l’Italie ne seraient plus capables de rembourser leurs dettes. Mais aucun pays ne peut rembourser sa dette, il n’a jamais été question de cela. D’ailleurs comme une banque centrale crée l’argent à partir des dettes souveraines, si les pays devaient rembourser leurs dettes, l’argent disparaîtrait !
Il ne faut pas perdre de vue que, comme souvent, la psychologie joue un rôle dominant et ce qui importe n’est pas le fait en lui-même mais sa perception par les acteurs. C’est particulièrement vrai dans des situations de guerre.
Ainsi une meilleure formulation serait de dire que les acteurs du marché, détenteurs de dettes souveraines, estiment que ces dettes ont moins de valeur et de ce fait il est donc plus difficile pour certains pays de continuer à s’endetter voire de maintenir leur niveau d’endettement.
Est-ce que la situation économique de l’Italie s’est tellement dégradée ces deux derniers mois ? Est-ce que l’on appris que l’Italie a camouflé sa dette réelle ? Bien entendu que la situation n’est pas brillante mais c’est surtout la perception du marché de cette situation qui amplifie le problème. La psychologie joue un grand rôle. Les craintes d’une flambée des taux poussent les détenteurs à vendre, ce qui fait grimper les taux.
Ainsi les peurs « s’auto réalisent » et l’accroissement des taux poussent les agences à dégrader la note de crédit du pays ce qui renforce encore les craintes et c’est ainsi que s’amorce une spirale sans fin. Je ne nie pas la réalité des problèmes mais je veux simplement souligner que la presse joue un rôle majeur dans la guerre monétaire qui profite à ceux qui mènent l’attaque. Et cette attaque pourrait parfaitement se tourner vers d’autres cibles.
En août dernier, les déficits budgétaires américains faisaient la une, puis le « vent a tourné » et c’est la fin de l’euro qui est de nouveau au cœur de la presse. Or le 23 novembre prochain, si le super comité du Congrès chargé de s’entendre sur une réduction du déficit budgétaire de 1.500 milliards de dollars ne parvenait pas à un accord, le processus des limitations automatiques de dépenses déjà voté serait automatiquement mis en application. Des compressions de 1200 milliards US s’effectueront tant du côté du budget de la défense que du côté des dépenses civiles, comme l’éducation, les services sociaux et l’environnement. Ceci alors que la situation économique sur le terrain aux États-Unis ne cesse de se dégrader et que les protestations anti wallstreet grossissent.
La situation économique d’Israël se dégrade de plus en plus. La situation n’est guère plus brillante au Royaume-Uni. Trois pays sur le déclin qui pourraient bien être tentés un jour, par la fuite en avant avec une nouvelle aventure militaire contre l’Iran dans un contexte de montée de l’Islam radical dans de nombreux pays.
En Asie, la bulle immobilière chinoise dont j’ai souvent parlé est en train d’exploser et le Japon subit chaque jour davantage les conséquences de Fukushima même si, en Europe, plus personne n’en entend parler.
Il s’agit donc bien d’une crise (guerre ?) mondiale et rien ne dit que le premier domino tombera en Europe.
Mais plus fondamentalement où se situe le véritable problème ? Il s’agit de la survie des banques.
N’importe qui peut facilement comprendre le principe de fonctionnement d’une entreprise commerciale traditionnelle: elle achète des matières premières, les transforme pour en faire un produit qu’elle vend. Son bénéfice vient de la différence entre ses coûts de production et son prix de vente.
Mais une banque opère de manière tout à fait différente et l’homme de la rue est souvent incapable de bien comprendre d’où viennent les bénéfices et les pertes des banques. Il est vrai que c’est parfois paradoxal. Reprenons l’exemple souvent cité: selon les normes comptables IFRS applicables, un groupe bancaire peut valoriser ses propres dettes selon leur valeur de marché. Une banque émet une dette de 100. Quelques temps plus tard, le marché estime que cette banque est plus risquée et que la valeur marchande de cette dette (prix de l’obligation émise) tombe à 80. En théorie la banque pourrait racheter sa propre dette et empocher la différence de 20. La banque peut donc inscrire dans son bilan un profit de 20 simplement parce que le marché estime que cette banque est devenue plus risquée. Cet exemple classique montre bien à quel point une banque est éloignée du schéma traditionnel.
Ce mécanisme est très simple à comprendre et il existe pour une banque, bien d’autres moyens de donner l’illusion que tout va bien. Citons en simplifiant pour faciliter la compréhension : une banque doit détenir un montant de fonds propres qu’elle calcule elle-même en fonction de ce qu’elle estime être ses actifs à risques. Rien ne l’empêche de déclassifier des actifs à risques afin de les estimer moins dangereux et réduire ainsi ses besoins en fonds propres. Elle peut aussi transférer des actifs toxiques dans des portefeuilles d’investissement pour ne plus devoir utiliser leur prix de marché , elle peut estimer que le prix de marché d’un titre n’est pas réaliste et préférer utiliser un prix théorique ( supérieur). Dans le jargon on parle de « risk-weighted asset optimization ».
Mais elle peut pousser le raffinement plus loin et créer des SPV pour transférer des actifs hors bilan. La faillite récente du courtier MF Global vient de mettre en évidence le rôle de ces opérations hors bilan (des ” repo-to-maturity ” avec des obligations souveraines européennes).
Mon but n’est pas de rentrer dans des détails complexes. Il n’est pas possible de tout expliquer simplement mais je l’ai souvent écrit, une banque est intrinsèquement fragile et sa survie repose intégralement sur la confiance. C’est la seule clef pour comprendre la crise : le monde financier est incapable de survivre à la peur. Lorsque la presse titre « le marché craint ceci … », c’est un signe très clair que la crise s’aggrave. Or la confiance cela se mérite et se gagne et ne peut pas se décréter ou être imposée. D’où l’impuissance des politiciens.
A mon avis la solution de cette crise passe par différentes mesures : garantir que les dépositaires d’une banque seront les premiers créanciers en toutes circonstances, en cas de risque de faillite convertir prioritairement les obligations émises par une banque en actions. A plus long terme abolir la réserve fractionnaire et les banques centrales, encourager l’utilisation de monnaies alternatives et avoir au moins une monnaie dont la masse serait invariable. Favoriser les investissements sous forme d’actions et idéalement en venir un jour à l’abolition des obligations. On pourrait continuer la liste mais il est inutile de s’attarder car absolument rien de ce que l’on nous propose ne s’oriente même légèrement dans cette direction.
De manière schématique on peut dire que toutes les solutions proposées reviennent toujours à la même chose : empiler des dettes nouvelles sur des mauvaises dettes. Le simple bon sens nous dit que cela ne peut qu’aggraver les problèmes. Mais finalement si le désir de certaines élites de voir un jour une monnaie mondiale basée sur les DTS du FMI devait se réaliser ne faudrait-il pas justement que toutes les monnaies soient en phase terminale ? Car via des comptes de substitution les DTS permettent un miracle financier : recycler des vieilles monnaies en une nouvelle.