Si même l’Allemagne n’est plus épargnée par les marchés, il y a de quoi s’inquiéter pour l’avenir de la zone euro. C’est en tout cas ce qui ressort des commentaires d’économistes après l’adjudication ratée de titres de dette allemands mercredi : pas moins de 40 % des titres mis sur le marché par le gouvernement allemand n’ont en effet pas trouvé preneur.
Cette opération ne peut être considérée comme un échec. Le rendement du Bund allemand (emprunt d’État) se situe en effet autour de 2,15 % vendredi, en hausse de 0,25 points sur une semaine. Il reste ainsi inférieur au niveau de l’inflation dans la zone euro (autour de 3 % sur l’année). Mais cette opération décevante marque un tournant dans la perception du risque par les investisseurs.
Avant de décréter l’Allemagne “contaminée” par la crise, reste encore à voir si ce mouvement de défiance se confirme au cours des deux ou trois prochaines adjudications. Mais d’ores et déjà, c’est une nouvelle phase de la crise qui s’ouvre, une phase où plus personne n’est épargné. Auparavant cantonnée aux économies dites “périphériques” – Irlande, Portugal, Grèce –, l’aversion des investisseurs s’est déplacée sur des économies de plus en plus importantes – Italie, Espagne –, jusqu’à se faire sentir outre-Rhin, une première.
Les marchés font pression sur Berlin
Après avoir fui la périphérie, les investisseurs désertent désormais le cœur de l’Europe, et cette absence est de très mauvais augure pour l’avenir de la zone euro. Si les rendements faibles offerts par l’Allemagne finissent par rebuter même les investisseurs à la recherche d’une valeur refuge inébranlable, c’est surtout la position inflexible du pays sur le rôle de la BCE qui inquiète.
Le gouvernement d’Angela Merkel s’est montré prêt à envisager une modification des traités européens afin de permettre la mise en œuvre de mesures en faveur d’une meilleure surveillance des politiques budgétaires. Mais Berlin n’envisage toujours pas d’élargissement du rôle de la BCE. Et encore moins que celle-ci puisse se doter du statut de prêteur en dernier ressort, qui lui permettrait de garantir qu’aucun pays de la zone euro ne fera défaut.
Nombreux sont donc les observateurs à estimer qu’une sanction de l’Allemagne par les marchés est la seule façon de la voir infléchir sa position sur la BCE. D’autant plus que les autorités de l’UE commencent à manquer de munitions : l’attractivité du FESF (Fonds européen de stabilité financière), qui s’est substitué à la BCE pour garantir les dettes souveraines, pâtit de la hausse des taux, et surtout, sa force de frappe – 440 milliards d’euros à l’heure actuelle – est bien trop faible pour contenir la contagion de la crise.
Une révision du mandat de la BCE, considérée comme l’ultime recours susceptible de sauver la zone euro, n’est pourtant pas envisagée comme la panacée par nombre d’économistes. Ainsi, Sony Kapoor, professeur à la London School of Economics, écrivait cette semaine sur son blog qu’une telle mesure conduirait la zone euro dans une situation comparable à celle du Royaume-Uni.
La Banque d’Angleterre y a pratiqué plusieurs politiques d’assouplissement monétaire massif, ce que la BCE ne peut pas faire : “certes le Royaume-Uni bénéficie de taux à leur plus bas (…) mais l’économie anglaise se porte-t-elle bien pour autant ? Est-ce qu’elle croît ? La réponse, dans les deux cas, est non. “, explique Sony Kapoor
Pour Peter Tchir, économiste chez TF Market Advisors, qui livre son analyse dans les colonnes de l’influent blog économique américain Zero Hedge, “[les] 440 milliards d’euros [du FESF] ne régleront rien, mais cela peut au moins permettre de stabiliser les marchés pendant 3 à 6 mois “, le temps de mettre en place des solutions. L’une d’entre elles, suggère Peter Tchir, serait d’essayer de faire jouer un rôle à la Chine et à d’autres économies émergentes en quête d’investissement, en leur proposant l’achat de titres émis par le FESF.
Le directeur général du Fonds, Klaus Regling, devrait d’ailleurs présenter en début de semaine prochaine aux ministres des finances de la zone euro les modalités d’extension de la capacité du fonds, après d’intenses consultations ces dernières semaines avec les investisseurs internationaux. Le FESF réformé ne sera toutefois pas en mesure d’agir avant fin décembre au moins, ont indiqué vendredi des sources proches du dossier à l’agence Reuters.
La zone euro toute entière prise pour cible
Stéphane Deo, économiste chez UBS Investment Research, écrivait jeudi dans une note de recherche que les marchés, après s’en être pris aux économies les plus fragiles, étaient en train “d’évaluer le prix d’un éventuel effondrement de l’euro ». Cette éventualité n’est plus du tout exclue. Au cœur des inquiétudes : le risque de crise de liquidité d’abord, le risque de défaut ensuite, qui persistera tant que la BCE n’acceptera pas de prendre la responsabilité de garantir qu’aucun pays de l’eurozone ne fera défaut.
Petit à petit, des lignes de partage se dessinent entre les pays de l’UE. Les taux auxquels le Royaume-Uni emprunte sont désormais identiques à ceux de l’Allemagne, ce qui en fait un concurrent sérieux, et ce pour la simple raison que le pays bénéficie d’une banque centrale qui n’hésitera pas à assumer le rôle de prêteur en dernier ressort en cas de besoin. Ce repli fait également les bonnes affaires du Trésor américain, dont les bons, malgré un rendement à peine plus élevé que le Bund, font toujours le bonheur des investisseurs prudents.
Malgré son niveau – il vaut toujours plus de 1,32 dollar –, l’euro semble ne plus remplir un de ses principaux rôles, celui de faciliter le financement de l’économie par le biais de l’endettement des États. Il le faisait en nivelant le “spread” (l’écart) entre les taux des dettes souveraines émises par des pays aux situations économiques très différentes. Puisque les investisseurs considéraient qu’un euro grec avait la même valeur qu’un euro allemand, les deux pays empruntaient au même taux sur les marchés (autour de 4 % en 2007). C’est loin d’être le cas aujourd’hui.
Les eurobonds toujours sur la table des négociations
Si l’Allemagne se met à emprunter à des taux qui s’approchent peu à peu des taux français, elle perd donc un avantage considérable par rapport aux autres membres de la zone euro. C’est ce qui pourrait la convaincre de se ranger du côté des partisans des eurobonds, ces obligations communes à toute la zone euro. Celles-ci ont l’avantage de présenter un taux unique et permettent à tous les pays de l’eurozone d’emprunter au même coût. Ces États bénéficieraient ainsi, par effet de bord, des garanties apportées par le triple A de l’Allemagne et de la France.
La question est désormais de savoir combien de temps encore la France conservera ce triple A. Plus que jamais, le temps presse.