Un professeur qui incite ses écoliers à faire «Dégage» à ses collègues féminines qui s’obstinent encore à bouder le hijab; une mère de famille qui, après avoir fait ses courses en niqab, réserve une bonne partie de son temps à effacer au marqueur noir les visages humains ornant les emballages des marchandises, y compris le visage du poupon qui fait la gaieté et l’originalité des paquets de couches pour bébés, sous le prétexte que «les représentations sont interdites en Islam»; un groupe de personnes s’arroge le droit de s’auto-investir de la délicate mission de tracer pour le peuple les limites du licite et de l’illicite, du bien et du mal, etc., etc.
De telles pratiques sont d’autant plus étranges qu’elles se déroulent dans un pays qui, depuis l’indépendance, a investi massivement dans l’éducation et qui se targue d’avoir un million de bacheliers et des centaines de milliers de diplômés du supérieur. D’autant plus inquiétantes qu’elles sont absolument étrangères à notre tradition séculaire d’ouverture, à notre culture arc-en-ciel, à notre histoire millénaire où s’entremêlent les dimensions phénicienne, carthaginoise, romaine, berbère, arabe, turque et musulmane. D’autant plus absurdes qu’on a fait une révolution avec pour but de faire régner la liberté, la justice et la démocratie et qu’on se retrouve face à des forces qui rêvent de nous entraîner dans les errements de l’obscurantisme.
On ne compte plus les incidents qui rempliraient d’aise les talibans afghans, mais qui suscitent en nous des sentiments beaucoup plus de honte que d’inquiétude. Comment sommes-nous arrivés là? Comment se fait-il qu’après trois millénaires de civilisation non-stop et à l’heure où le monde est devenu un petit village interconnecté, on subit aujourd’hui, en 2011, des dépassements et des abus qu’on croyait circonscrits dans des aires bien précises, l’Afghanistan des talibans ou la Somalie des «shebabs» ? [Lire la suite]