Face au mouvement des “indignés” américains, les requins de la finance dépensent des milliers de dollars pour assurer leur sécurité. Des craintes qui font les affaires des sociétés de protection.
Ils appellent lorsqu’ils apparaissent sur la liste des 400 Américains les plus riches établie par le mensuel Forbes. Ils appellent lorsque sont publiés les classements annuels des fonds spéculatifs les plus performants, lorsque leur nom est mentionné par un journaliste de la chaîne d’information financière CNBC ou que leurs enfants se rendent à l’étranger. Et, ces jours-ci, ils appellent parce que les manifestants du mouvement Occupy Wall Street nourrissent un ressentiment à leur égard qui les inquiète de plus en plus.
Les richissimes banquiers, les gestionnaires de fonds spéculatifs et les cadres des sociétés de capital-investissement de New York font depuis longtemps appel à des agences de sécurité privées pour les protéger eux et leur fortune. Alors que Wall Street fait face à une hostilité grimpante, les grands financiers redoublent de prudence.
Pour les sociétés de protection des personnes, qui offrent aux plus fortunés des services spécialisés tels des systèmes de sécurité résidentiels très élaborés ou encore la possibilité d’être suivi par des gardes du corps vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le mouvement Occupy Wall Street est une véritable aubaine. “Cette année, nous devrions doubler notre chiffre d’affaires à New York, voire plus encore “, indique Paul M. Viollis, cofondateur de Risk Control Strategies (RSK), une société qui compte parmi ces clients plusieurs hauts dirigeants de Wall Street.
Les services de protection destinés aux plus riches ont connu un premier pic d’activité au moment de la crise financière de 2008. En avril de cette année-là, un mois après l’effondrement de la banque d’investissement Bear Stearns, Lloyd C. Blankfein, le PDG de Goldman Sachs, a fait construire un portail de sécurité de deux mètres de haut pour contrôler l’accès à sa propriété des Hamptons. [Située à l’extrémité est de Long Island, cette enclave est le rendez-vous balnéaire de l’élite new-yorkaise.]
A la même époque, le siège social de la banque d’investissement Lehman Brothers, une institution financière qui allait s’effondrer quelques mois plus tard, s’est doté d’un chien renifleur de bombes. En 2010, les Yes Men, deux spécialistes en canulars, ont encouragé leurs partisans à procéder à l’arrestation citoyenne du milliardaire et gestionnaire de fonds spéculatifs John A. Paulson. Selon une source proche du dossier, l’entreprise de Paulson aurait embauché des gardes du corps supplémentaires.
La récente explosion de colère a cependant accru le facteur de risque. Il y a deux semaines, à l’occasion de la “marche des millionnaires “, les manifestants ont fait étape devant la demeure de Paulson, ainsi que devant les domiciles de Jamie Dimon, PDG du holding financier JPMorgan Chase, et de Stephen A. Schwarzman, milliardaire et cofondateur de la banque d’investissement Blackstone Group. L’une des pancartes brandies par les militants montrait la tête de Lloyd C. Blankfein promenée au bout d’une pique. Des scènes comme celles-là poussent les dirigeants à renforcer leurs équipes de sécurité internes en faisant appel à des sociétés privées spécialisées.
Le PDG d’une grande banque a récemment appelé Risk Control Strategies parce qu’il venait de recevoir un courriel anonyme de menaces visant sa famille. Deux vigiles ont rapidement été dépêchés à son domicile. Un autre client, également haut dirigeant à Wall Street, a récemment demandé à Paul M. Viollis d’envoyer des hommes en civil sur l’esplanade Zuccotti [où campent les militants du mouvement Occupy Wall Street] pour tenter de savoir si les manifestants avaient l’intention de lui faire du mal, à lui ou à ses collègues. [Paul M. Viollis affirme qu’il refusera probablement cette mission.] Ainsi, tandis qu’Occupy Wall Street se répand à travers le pays, même les dirigeants dont le visage n’est pas connu du grand public s’inquiètent pour leur sécurité.
La protection des personnes les plus aisées est un secteur encore modeste, mais les services proposés se diversifient de plus en plus. Il existe désormais des sociétés qui vendent des assurances contre le kidnapping et d’autres qui proposent de vérifier les antécédents des employés de maison. D’autres encore proposent de remplacer les fenêtres d’une résidence par un vitrage pare-balles en polycarbonate ou de construire une salle sécurisée avec des murs en acier trempé.
Parmi les plus récentes avancées technologiques du secteur, les “contre-mesures de surveillance technique” sont les plus nombreuses. Elles permettent de détecter la présence de dispositifs électroniques d’espionnage à la maison, au bureau, ainsi que dans les chambres d’hôtel et les voitures. Paul M. Viollis estime que le volume d’affaires de son entreprise dans ce domaine a triplé cette année. Cela est dû en grande partie au nombre croissant de gestionnaires de fonds spéculatifs qui croient faire l’objet d’enquêtes officielles, et de cadres du secteur financier qui craignent l’espionnage industriel. Les prestations des sociétés de sécurité privées ont cependant un coût élevé.
Pour l’embauche d’un seul garde du corps bien entraîné – ou d’un “professionnel de la protection personnelle “, comme on dit dans le jargon du secteur –, il faut compter 200 dollars [145 euros] l’heure et, pour un chauffeur à plein-temps, 150 000 dollars [110 000 euros] par an. Un balayage approfondi pour la détection de dispositifs de surveillance coûte 13,90 dollars [10 euros] le mètre carré, et le prix d’un système de surveillance résidentiel complet oscille entre 100 000 [72 000 euros] et 1,5 million de dollars [1 million d’euros].
Howard A. Shapiro, directeur de la technologie d’Insite Security, raconte qu’un haut dirigeant d’entreprise l’a récemment contacté pour l’aider à préparer sa fuite du pays en cas de renversement du gouvernement fédéral. Il voulait notamment savoir combien d’or il devait garder à portée de la main et comment fuir le pays à bord d’un sous-marin en cas d’incident majeur. “Cet homme dépensait tout son argent pour assurer sa sécurité “, dit Howard A. Shapiro. “Nous n’encourageons pas ce genre de comportement.” En cette période de turbulences pour les patrons de Wall Street, la sécurité n’a pas de prix. “Il est impossible de protéger quelqu’un à 100 % “, souligne Paul M. Viollis, “mais il est possible de s’en approcher. “