Monétiser massivement les dettes, faire baisser l’euro sur le marché des changes, permettre la réintroduction de monnaies à usage interne… Les “plans B” ne manquent pas pour tenter de trouver une solution à la crise de la dette.
1. CHANGER RADICALEMENT LA POLITIQUE MONÉTAIRE
Il existe encore un moyen d’éviter le grand krach, avec ses conséquences imprévisibles. Le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne (BCE) a d’ailleurs ouvert très timidement cette porte, jeudi 3 novembre, en abaissant son taux directeur à 1,25 % – quand ses consoeurs américaine ou japonaise restent proches des 0 %. “L’explosion de la zone euro doit être évitée », souligne Jean-Pierre Vesperini, membre du Conseil d’analyse économique (CAE), pourtant adversaire de la création de la monnaie unique.
Quelque chose cloche en effet dans la logique actuelle des plans européens. “Soit on se contente d’une analyse de type “bouc émissaire” – c’est la faute des Grecs, etc. Soit on se dit: quelque chose de plus profond est en train de se révéler, on a une construction qui ne fonctionne pas », explique l’économiste Alain Grandjean, de sensibilité écologiste. “Les équations mathématiques sont très simples. Tant que les taux d’intérêt réels (une fois l’inflation déduite) sont significativement supérieurs au taux de croissance, aucun désendettement ne peut marcher, par simple effet boule de neige de la dette », ajoute-t-il. On peut donc interroger, d’abord, la pertinence de la politique monétaire européenne.
Ainsi, plaide M. Vesperini, “la meilleure solution pour préserver l’euro réside dans la monétisation des dettes souveraines par la BCE, afin de faire baisser les taux d’intérêt à long terme qui étranglent aujourd’hui non seulement les petits pays périphériques, mais également l’Italie et l’Espagne ».
Il prône aussi une baisse des taux à court terme par la BCE. “Ces deux actions permettraient de faire baisser le cours de l’euro jusqu’à sa valeur d’équilibre – autour de 1,15 euro –, ce qui permettrait une sortie de crise », dit-il. La monétisation des dettes a été en effet peu utilisée par la BCE, à ce stade ; elle s’est engagée dans cette voie environ dix fois moins au total que la Réserve fédérale américaine (Fed).
Antoine Brunet, président d’AB Marchés, enfonce le clou : baisser les taux d’intérêt et monétiser la dette ne suffira pas, selon lui. “Il faudra, comme vient de le faire la Suisse avec succès, procéder à des interventions massives sur le marché des changes. Tant que l’Union économique et monétaire (UEM) continuera de rester le dindon de la planète, elle s’enfoncera dans une crise de plus en plus grave et de plus en plus insoluble », dit M. Brunet.
Tous les pays européens ont souffert d’une perte de compétitivité face au yuan, la devise chinoise, y compris l’Allemagne. Cette dernière a surtout regagné sur ses partenaires et donc accru son excédent dans la zone euro. “Le déficit budgétaire n’est ni le père ni le jumeau du déficit commercial, il en est le fils », résume M. Brunet.
Comme les interventions sont impossibles pour corriger le cours de l’euro face au yuan “du fait du contrôle des changes draconien que la Chine maintient depuis toujours », il conseille que la BCE vende “en grande quantité des euros – qu’elle peut émettre sans difficulté – contre des dollars, contre des sterling, contre des yens, contre des wons… jusqu’à ce que l’euro recule enfin de 1,40 à 1 dollar et indirectement de 8,90 yuans à 6,35 yuans ». “Le plan B consiste donc en un changement copernicien de la politique de change de l’UEM“, conclut M. Brunet. Pour cela, il faudrait qu’un gouvernement économique de la zone euro “dessaisisse officiellement la BCE de la définition de la politique de change », qu’elle a assumée de facto, profitant de la division entre les Etats membres, alors que le traité de Maastricht ne lui en confiait que la mise en œuvre.
2. EURO DU NORD ET EURO DU SUD : LES LIMITES D’UNE SCISSION
Un virage à 180 degrés dans la politique monétaire permettrait sans doute d’interrompre la crise économique et financière dans la zone euro. Mais il resterait un autre problème de fond à régler: les divergences économiques entre les pays. A côté de la monnaie unique, la bonne logique voudrait des mécanismes de transferts fiscaux accrus, sur le modèle du fédéralisme allemand ou américain, afin de compenser les écarts de développement économique.
Mais cette évolution ou son corollaire – l’émission d’une dette européenne : les eurobonds – ont jusqu’ici été refusés, notamment par Berlin. “La stratégie allemande eurolibérale est, dans les faits, non coopérative au sein de l’Europe. Elle se présente comme : ‘chacun doit faire des efforts’. En fait, cela ne se passe pas comme ça. Si le meilleur de la classe s’en sort, c’est parce qu’il y a des mauvais élèves dans la classe », souligne l’économiste Alain Grandjean.
Réduire les écarts de compétitivité entre la Rhénanie du Nord et le Péloponnèse par la rigueur salariale et budgétaire dans cette dernière région a montré ses limites. Afin de rééquilibrer les économies, l’option d’une séparation entre les pays “vertueux” et les pays “laxistes”, dans deux euros de différentes valeurs, a été évoquée par des économistes au début de la crise.
Toutefois, si l’opération se révélait une simple scission et un “lâchage” du Nord par le Sud, elle aurait de très nombreux inconvénients pour les deux parties. “Un euro du Nord autour de l’Allemagne aurait sans doute sa cohérence, même s’il se réévaluerait fortement, ce qui handicaperait le commerce extérieur de cette zone. C’est la raison pour laquelle la France ne devrait en aucun cas en faire partie », explique Jean-Pierre Vesperini, professeur des universités. “De son côté, l’euro du Sud risquerait de manquer de cohérence. Si ce devait être le cas, il constituerait une étape vers le retour à la souveraineté monétaire », ajoute-t-il.
Les deux euros seraient toujours soumis aux grands vents de la spéculation. Une dévaluation violente de l’euro du Sud et les défauts de paiement – par changement d’unité monétaire – des secteurs privé et public du Sud seraient à attendre.
Pour éviter finalement les effets systémiques, les économistes réfléchissent donc à un système d’ajustement par le taux change à l’intérieur de la zone euro.
3. PASSER DE LA MONNAIE UNIQUE À LA “MONNAIE COMMUNE”
“Compte tenu des énormes différentiels de compétitivité entre l’Italie, l’Espagne, le Portugal et les pays du Nord, la solution la plus évidente intellectuellement est d’avoir des sous-régions dans la zone euro. Ou bien, l’autre option est de passer de la monnaie unique à la monnaie ‘commune’, en instaurant un système de changes fixes mais ajustables entre chacun des membres (de l’Union monétaire). Cela suppose de réintroduire un contrôle des changes dès lors que circulent, en parallèle, une monnaie ‘interne’ et une monnaie ‘externe’ », explique M. Grandjean.
Cette idée de plan B sous la forme d’une double circulation monétaire – permettant de réintroduire les monnaies nationales à l’intérieur de la zone euro tout en gardant une unité de compte semblable à l’ancien ECU (European Currency Unit) vis-à-vis de l’extérieur – est notamment défendue, comme solution de secours, par l’économiste Gabriel Galand sur son blog “chômage et monnaie” ou par son confrère Gaël Giraud, chercheur au CNRS.
Evidemment, cette monnaie commune n’aurait plus le même usage quotidien. Mais elle permettrait un rééquilibrage progressif des économies, sans passer par les dévaluations massives qu’accompagnerait, du jour au lendemain, la seule introduction d’une nouvelle drachme, d’un nouvel escudo, d’une nouvelle peseta, etc.
Ce serait donc un moyen de réduire progressivement les divergences économiques entre les pays, sans déstabiliser l’ensemble.
Ce système monétaire ne résoudrait pas tous les problèmes et n’empêcherait pas que la BCE doive, au préalable et au passage, monétiser partiellement les dettes publiques.
De même, il devrait s’accompagner de plans massifs d’investissements dans toute la zone, pour réaliser sa conversion économique, énergétique et environnementale, permettant une croissance durable.
Ceci suppose aussi de mobiliser des financements auprès de l’institut d’émission à Francfort. Ajouté à des formes de contrôle des changes internes, ce serait une révolution financière. Mais l’innovation peut trouver sa place. M. Galand propose, par exemple, de définir des cours de change-cible entre les monnaies nationales et de taxer proportionnellement, de plus en plus fort, les transactions de change qui s’en éloigneraient.
4. LAISSER L’ALLEMAGNE ET LES AUTRES “FAUCONS” S’ENVOLER
Dans la négociation sur le sauvetage des pays en difficulté, il est régulièrement rappelé qu’aucune clause de sortie n’est prévue dans le traité de Maastricht.
L’euro serait une voie à sens unique, à moins de décider d’en sortir par un acte souverain de rupture des traités. Peu de pays – sauf à y être acculés et à devoir choisir entre deux maux, comme la Grèce – ont intérêt à considérer cette hypothèse.
Mais les pays financièrement “bien portants” sont aussi ceux qui perdraient le moins dans ce cas.
En effet, déjà en excédent, ils peuvent se permettre de voir leur monnaie se réévaluer et gagner ainsi en pouvoir d’achat vis-à-vis de l’extérieur.
La seule question délicate resterait celle des créances vis-à-vis des Etats et des économies restées dans l’euro, qui, de facto, se déprécieraient. Mais cette question peut être négociée. Car quitte à ce que quelqu’un sorte, autant – pour ceux qui restent – que ce soit le plus fort.
L’euro déprécié face à un nouveau deutschmark permettrait aux autres économies de regagner leur compétitivité. “En cas d’éclatement, la solution la moins douloureuse serait que l’Allemagne quitte la zone euro. Elle serait sans doute suivie par des pays qui lui sont proches : l’Autriche, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Finlande et l’Estonie », prévoit M. Vesperini.
Cette solution ne serait pas la plus rationnelle, aujourd’hui, pour notre premier partenaire économique, même si elle a un écho outre-Rhin : “La nostalgie du deutschmark dans l’opinion publique allemande et son refus de soutenir plus avant les pays en difficulté favorisent cette option. La sortie de l’Allemagne aboutirait à une forte réévaluation de sa monnaie qui la priverait du coeur de ses excédents commerciaux, ceux qu’elle réalise avec le reste de la zone euro. Mais elle pourrait finir par l’accepter si la politique monétaire de la BCE devenait trop contraire aux principes de la Bundesbank », ajoute M. Vesperini.
En brisant le couple franco-allemand, la scène préparerait de nombreuses déconvenues.
Mais en cas d’échec de la zone euro à trouver la stratégie de sortie de crise, en cas de divorce déjà consommé et de risque d’une explosion de l’UEM par la contagion des sorties des Etats les plus fragiles – les uns à la suite des autres, provoquant un effet domino –, ce serait un pis-aller un peu moins mauvais.