Jusqu’alors, le gouvernement pouvait espérer que ces tensions seraient passagères et que tout reviendrait à la normale si la crise de la zone euro se résolvait. Désormais, tout espoir est vain : la France est condamnée à emprunter durablement à des taux plus élevés. Il faut du temps pour retrouver la meilleure notation. « Au moins dix ans », disent les économistes.
Alors que la charge de la dette représente déjà 48 milliards d’euros, soit le troisième poste de dépenses budgétaires, une remontée durable des taux d’intérêts va encore l’alourdir. Si les taux dérapent, l’objectif de réduction de déficit à 4,5 % du PIB, déjà jugé très optimiste, risque d’être totalement inatteignable.
Un 1 % qui coûte l’équivalent du budget de la culture
L’addition va s’alourdir dès cette année : le gouvernement a prévu d’emprunter quelque 180 milliards d’euros en 2012. « 120 à 150 points de base de plus (1,2 à 1,5 %), cela représente 2,5 à 3 milliards de plus par an », prévenait toujours le directeur de l’agence France Trésor. Soit l’équivalent du budget du ministère de la culture.
L’économiste Thomas Chalumeau parvient à peu près au même calcul, dans une étude publiée par Terra Nova. « L’impact de ce point d’intérêt supplémentaire sur nos charges d’intérêts annuelles serait très conséquent, et ce rapidement : de l’ordre de 2,5 à 3 milliards d’euros annuels à l’horizon de 12 à 18 mois, avant d’atteindre possiblement près de 15 milliards d’euros par an à l’horizon 2017, une fois répercuté sur l’ensemble de notre stock de la dette publique, dont la maturité est proche de 5 ans. 15 milliards, soit l’équivalent de deux points de TVA, ou encore de la somme des budgets alloués au ministère de la culture, de l’agriculture, des affaires étrangères, de l’écologie et des transports… »
La suite est malheureusement connue : pour respecter les engagements pris au nom de la discipline dans la zone euro, de nouvelles coupes budgétaires, de nouvelles réductions de crédits, de nouveaux impôts et taxes vont s’imposer. Pour rassurer les marchés, la France risque d’être soumise à son tour à la recette amère connue d’une austérité généralisée, d’une déflation sociale, puisque c’est la ligne qu’a adoptée l’Europe. C’est la première conséquence prévisible de la dégradation.
Le secteur public attaqué
La dégradation de la notation de la France va entraîner des révisions en cascade. Tous les groupes publics qui bénéficient de la garantie de l’État vont se retrouver exposés. Sans attendre la notification officielle de la dégradation française, Standard & Poor’s a donné, dès la semaine dernière, toute une liste d’entreprises publiques « mises sous surveillance négative ». Y figurent notamment la Cades, Réseau ferré de France, la SNCF, EDF, Aéroports de Paris, RTE, la Caisse nationale des autoroutes, et même la Caisse des dépôts.
Pour ces entreprises, souvent sous-capitalisées, et largement dépendantes des emprunts, cela va se traduire par une hausse de leur coût de financement. D’autant que toute une partie des investisseurs qui acceptaient auparavant de leur prêter de l’argent les yeux fermés vont se défausser, car ces émetteurs publics n’offriront plus les garanties – qui sont parfois statutairement exigées – suffisantes pour certains créanciers.
Cela va immanquablement se répercuter pour les uns par une hausse des tarifs demandés aux usagers, pour les autres par une diminution de leurs prestations. Les paris sont ouverts : combien de temps va-t-il s’écouler avant que la nécessaire privatisation de certains de ces organismes ne soit évoquée, par les éminents libéraux ?
Les collectivités locales fragilisées
Les collectivités locales n’avaient pas besoin de cela. Depuis la faillite de Dexia, elles ont déjà le plus grand mal à trouver des crédits. Le gouvernement a dû débloquer en urgence une ligne de crédit de 4 milliards d’euros à la fin de l’année pour leur permettre d’assurer leur financement. La dégradation de la France va encore compliquer la situation.
Paris et la région Ile-de-France ont déjà été placés sous « surveillance négative », dès mercredi. Leur dégradation paraît inévitable, aux dires de Standard & Poor’s. Même si le nombre de collectivités territoriales notées est assez restreint, une trentaine environ, les répercussions vont se faire sentir sur l’ensemble. Les emprunts des villes, déjà difficiles à obtenir, vont être examinés à la loupe et pour beaucoup refusés. Taxes, impôts en tout genre risquent de fleurir pour équilibrer les budgets.
François Fillon va être content. Le premier ministre, qui demandait que les collectivités locales se mettent au régime sec, va enfin avoir gain de cause, et même au-delà. Plus tard, le chef du gouvernement réalisera peut-être les conséquences de ce qu’il demandait : 70 % de l’investissement public est réalisé par les collectivités territoriales. C’était le dernier petit souffle pour soutenir la croissance en France.