Grâce à un arrêt de la Cour suprême, groupes de pression, grandes fortunes et entreprises peuvent inonder de millions de dollars la campagne électorale sans rien déclarer. L’argent pèsera-t-il plus que le bulletin de vote ?
Les groupes de pression ont encore de beaux jours devant eux aux États-Unis. Le 21 janvier marque le deuxième anniversaire d’un arrêt rendu par la Cour suprême concernant le financement des élections (arrêt Citizens United, du nom d’une association très conservatrice). Celui-ci a levé quasiment toute limite au soutien financier des candidats par les entreprises. Les dirigeants de sociétés cotées en bourse peuvent désormais financer les campagnes, sans aucune déclaration publique, ni même information à leurs actionnaires, via des comités d’action politique, appelés « Super PACs ».
Ces « SuperPACs », fondés par des grandes fortunes ou des entreprises anonymes, pèsent sur les élections comme jamais auparavant, mettant à mal un siècle de lois électorales. La Chambre de commerce des États-Unis et certains groupes de pression républicains – American Crossroads ou American Action Network, groupes anti-Obama, anti-impôts, ou partisans de la dérégulation financière – ont promis d’investir chacun au moins 100 millions de dollars. Les SuperPacs avaient déjà inondé la campagne électorale à mi-mandat, en 2010, avec 300 millions de dollars, dépensés notamment en spots publicitaires contre certains candidats. Soit trois fois le montant dépensé pour les élections de 2006.
L’argent roi, au nom de la liberté d’expression
La moitié des électeurs n’auraient pas connaissance de cet arrêt. Selon les sondages, il est désapprouvé par une majorité des citoyens informés de son existence [1]. Il date de janvier 2010, lorsque la Cour suprême a dû trancher le contentieux entre l’association conservatrice Citizens United et la Commission électorale fédérale à la suite de la promotion d’un documentaire anti-Hillary Clinton. Les juges ont invoqué le Ier amendement de la Constitution, garantissant la liberté d’expression, et provoquant ainsi une jurisprudence. À l’époque, Barack Obama avait dénoncé « l’irruption brutale » dans les campagnes électorales de l’argent des groupes de pression.
Pour contrer cet arrêt, deux tiers des États doivent faire voter un amendement constitutionnel, à l’image du Montana, qui a pris la décision de ne pas l’appliquer. En attendant une telle mobilisation, une pétition a été lancée par des ONG, des juristes, des chefs d’entreprise mais aussi des investisseurs institutionnels (gérant un total cumulé de 800 milliards de dollars). À défaut d’empêcher les financements incontrôlés, ils veulent obliger ces entreprises à rendre publiques leurs contributions. De nombreuses manifestations ont eu lieu ces derniers jours, notamment à l’initiative du mouvement Occupy, pour dénoncer cet arrêt.
Quand les milliardaires décident de la stratégie républicaine
D’ici là, les citoyens ne pourront pas savoir qui finance les différents candidats. Et les entreprises pourront continuer leur lobbying intensif, inondant la campagne présidentielle de leurs millions de dollars. À l’image de ce propriétaire de casino qui vient de faire un don de 5 millions de dollars en faveur du candidat aux primaires républicaines Newt Gingrich, lui permettant de financer une série de publicités contre son adversaire Mitt Romney.
Encouragé par Citizens United, un groupe de milliardaires républicains et de dirigeants de groupes de pression se réunit tous les mois pour peser dans la campagne. Ils se sont partagés les États à conquérir, coordonnent leurs offensives de communication, et réfléchissent ensemble à la meilleure manière d’utiliser les quelques centaines de millions de dollars qu’ils vont dépenser dans les mois à venir. Concurrençant, voire éclipsant les instances du Parti républicain, qui semblent avoir perdu la main. Quand aux 99 % des citoyens, il ne leur reste plus que leur bulletin de vote, dans un processus démocratique complètement biaisé.