Les premiers arrivés sont les premiers servis, et pourtant ils attendent aussi longtemps que les derniers. Reportage dans la file d’attente du restaurant tout juste rénové l’Entrecôte
Midi, 1er novembre. Mais où vont ces gens silencieux ? Tête baissée, mains dans les poches, mines renfrognées. Au musée, à Pôle emploi, au ciné ? C’est la question que se pose une dame en observant d’un air dubitatif la file d’attente qui glisse du cours du 30 juillet jusqu’à la rue Esprit des Lois. « Je suis à Bordeaux depuis trois jours, et tous les jours j’ai vu cette interminable file d’attente. Alors j’ai pensé, il doit se passer quelque chose. J’ai même demandé à l’Office du Tourisme, quel était l’événement ? Lorsqu’ils m’ont répondu que c’était un restaurant… »
Ben forcément, elle se tâte. Car comme dit Jacques qui piétine avec femme et enfant depuis une bonne demi-heure devant l’Entrecôte :
« le monde attire le monde. Et s’il y a autant de monde c’est que ça doit être bien. Je suis venu exprès de Charente-Maritime et je savais parfaitement qu’il fallait attendre. Attendre à l’Entrecôte, c’est déjà l’Entrecôte. Voyez ? »
Très bien. Le restaurant après deux mois de travaux a rouvert samedi sa deuxième salle. 180 couverts, deux services et demi le midi et plus de trois le soir.
Jean-Louis et Jacques, Bretons en villégiature à Bordeaux bouclent la file du premier service. « On est là depuis samedi midi, vanne Jean-Louis. En fait, samedi midi, trop de monde. Puis dimanche midi, on n’a pas tenu, la file d’attente dépassait les taxis de la rue Esprit des Lois. Lundi ? Toujours pareil. Et aujourd’hui, on a le temps, on reste. »
« On vient de Salleboeuf »
Maxime et ses filles, 6 et 4 ans commencent à trouver le temps long. « Les meilleures frites de Bordeaux, clame-t-il.
Pour tenir le coup, il faut rationaliser la démarche. Moi par exemple, je lâche ma mère et les filles au passage, hop, elles entament la file d’attente, pendant ce temps, hop, je vais me garer. Quand j’arrive, on a gagné du temps. »
Hop, surtout lui d’ailleurs. Parce que la grand-mère et les filles, elles, en ont plein les bottines. « Que voulez-vous, moi je viens de Salleboeuf et franchement l’Entrecôte ce n’est pas un resto, c’est une institution ! »
Nicole Jokiel, patronne de l’établissement vient jeter un œil dehors afin de jauger la longueur de la file. « On est bien embêtés. Depuis les travaux, la commission de sécurité nous a interdit de faire patienter les clients dans les escaliers, comme nous le faisions avant. Du coup, ils attendent dehors. Même quand il pleut, même les personnes âgées. La rue est complètement bouchée. Et puis, nous voilà obligés d’aller avertir les gens à 13 h 30 que nous arrêtons de servir, alors que le restaurant ne ferme qu’à 14 heures. Idem le soir. Il y a parfois des manifestations d’agressivité. C’est la rançon de la gloire. »
Les clients recalés vexés
À midi et demi, le premier service s’apprête à croquer son faux-filet. 250 kilos de viande sont avalés chaque jour à l’Entrecôte. Les clients du second service commencent à étirer la file d’attente qui gonfle, gonfle au fil des minutes qui s’égrènent. A côté de l’institution, il y a une brasserie. Le Café Napoléon 3, de bonne facture, elle offre une terrasse au soleil et des menus pas très différents qu’un faux-filet-frites. En plus, elle a l’avantage de prendre les clients sans les faire attendre.
Jacques le breton atteste. « Nous n’avons pu entrer à l’Entrecôte, du coup, nous avons fini au Napoléon. La brasserie récupère les clients recalés, mais ils sont vexés et ils font vraiment la tête ! » Pas jaloux le Napoléon, pas plus le restau du Régent Grand Hôtel. « Nous y avons dîné la semaine dernière, raconte Geneviève de Charente-Maritime. Ils estiment l’affluence de leur restaurant en fonction de la file d’attente de l’Entrecôte. S’il y a du monde en face, alors le service sera bon ! Du coup, ça m’a donné envie de faire un tour ici. »