Wall Street a été profondément agitée par une décision très inhabituelle prise par Goldman Sachs. Elle concerne un placement privé d’environ 1,5 milliard de dollars pour la Société Facebook. Intervenant au moment où le film relatif à cette société venait de recevoir les acclamations et les prix des Golden Globes, l’opération avait en effet attisé l’appétit d’investisseurs. Goldman Sachs a décidé de ne pas placer ces titres entre les mains d’investisseurs américains, mais exclusivement en dehors des Etats-Unis. Voilà qui n’est pas habituel et mérite qu’on y prête attention.
A l’origine, un investissement de 450 millions de dollars de Goldman Sachs dans Facebook pour compte propre. Cette injection de capitaux frais valorisait Facebook aux alentours de 18 milliards de dollars. La nouvelle règlementation américaine ne permettant plus aux banques de détenir ce type d’actifs pour compte propre, la firme de Wall Street prit la décision de les vendre sous forme de placement privé à 1.500 milliards de dollars, valorisant Facebook à 50 milliards de dollars.
La presse s’emparant de l’opération et lui donnant une publicité digne du réseau social créé par Mark Zukerberg, il devenait difficile de garder au placement en question la confidentialité qui sied à des placements privés. L’autorité de contrôle américaine, la Securities & Exchange Commission, a en effet défini de manière très stricte les limites de ces placements : 500 investisseurs au maximum, et pas de publicité.
Transformer l’opération privée en opération publique était impossible : L’introduction en bourse de Facebook n’est pas prévue avant 2012, et les informations nécessaires à une opération ne sont pas disponibles. De surcroit, faire une émission publique pour 1,5 milliards de dollars n’a pas de sens. On voit mal pourquoi Facebook ne lèverait pas au moins 10 milliards de capitaux. De surcroit, il n’est pas évident que Facebook soit prêt à faire face aux procédures lourdes de la SEC.
C’est en vue de ne pas enfreindre la règlementation américaine que Goldman Sachs a donc décidé, à son corps défendant, de réserver ce placement privé à des investisseurs étrangers. Ne pleurons cependant pas sur le sort des investisseurs institutionnels et milliardaires américains qui sont les seuls à pouvoir souscrire à ce type d’émission : la plupart d’entre eux pourront souscrire au travers de leurs filiales en dehors des Etats-Unis.
En effet, le reste du monde n’est pas aussi sourcilleux que la SEC lorsqu’il est question de publicité des placements privés. Cela pose cependant des problèmes. Les investisseurs américains se sentent profondément lésés de ne pas pouvoir souscrire à ces actions. C’est alors que l’on découvre que deux marchés « over the counter » ou Hors-Bourse ont depuis plusieurs mois écoulés des actions Facebook de manière discrète. La limite de 500 investisseurs n’est-elle pas déjà dépassée ? La SEC vient de lancer une enquête sur ce sujet.
Cela pose également la question d’une pratique dont Wall Street est friande : le placement « pre-IPO » d’une partie du capital qui sera ultérieurement levé de manière publique, a une décote par rapport au cours attendu de l’introduction en Bourse. C’est une forme de placement entre « investisseurs privilégiés » qui se fait au détriment des futurs actionnaires publics.
Dans l’imbroglio actuel, Goldman Sachs a pris la seule décision possible : ne pas placer l’opération aux États-Unis. Cela n’en fait pas une bonne décision, et démontre, si besoin est, combien il est temps de se pencher sur l’incohérence des règles de placement au niveau international. Priver les investisseurs américains d’un accès aux placements privés de sociétés américaines est très mal vécu par les investisseurs approchés par Goldman Sachs. La SEC aura à répondre des conséquences de ses règles restrictives. Le Wall Street Journal qui n’aime pas particulièrement les règlementations, pose la question d’une « délocalisation » des opérations de levées de capitaux hors des Etats-Unis.
L’honorable compagnie n’avait vraiment pas besoin de cette publicité non sollicitée : elle vient d’annoncer une baisse de plus de 50% de ses résultats du dernier trimestre. Mais 15 milliards de dollars de bonus pour 2010 devraient mettre du baume sur les plaies.
Elle vient de publier sa nouvelle charte de fonctionnement interne qui a été accueillie par les commentateurs comme « à peine plus que des vœux de nouvelle année ».
Pour vivre heureux vivons cachés disait Jean Pierre Claris de Florian. Je suis certain que les dirigeants de Goldman Sachs en sont convaincus.