Alors que les relations entre la France et l’Allemagne étaient tendues cet été au moment où la crise reprenait dans la zone euro, Nicolas Sarkozy n’a pas cessé de faire référence à nos voisins d’outre-Rhin lors de son intervention télévisée de ce dimanche 29 janvier 2012. L’Allemagne, l’Allemagne, et encore l’Allemagne : c’est bizarre – vous avez dit bizarre – cette façon dont Nicolas Sarkozy, président de la France, ne cesse de prendre l’Allemagne comme modèle de société.
Le président de la République, face aux journalistes qui l’interrogeaient prioritairement sur l’avenir de leur propre pays, n’avait que ce mot à la bouche : l’Allemagne, véritable ritournelle obsessive, plus encore que la France, dont il est pourtant censé être le premier et plus glorieux des citoyens, comme si celle-ci devait absolument imiter celle-là, parce que l’Allemagne est aujourd’hui le pays le plus fort d’Europe sur le plan économique.
La puissance allemande, éternel modèle
Les Français, qui auraient préféré que leur président s’intéresse plus directement à eux plutôt que d’en passer toujours par les concitoyens d’Angela Merkel, apprécieront ! Tout comme ils apprécieront, par ailleurs, que la responsable politique d’un pays étranger, la mère Merkel toujours, prétende s’immiscer de manière aussi inopportune, en déclarant publiquement qu’elle soutiendra son petit Nicolas lors de la campagne électorale, dans un débat national où elle n’a, théoriquement, rien à dire, ni même à redire !
D’où la question : pourquoi, de la part de certains responsables politiques français, cette étrange fascination qu’exerce sur eux, de manière périodiquement récurrente, la puissance allemande ? Et, me gardant bien de comparer certes ici l’incomparable, évitant de verser ainsi dans un révisionnisme historique de mauvais aloi tout autant que de mauvais goût, je ne fais pas nécessairement allusion là à certains épisodes par trop douloureux, et surtout indiciblement honteux, du vingtième siècle européen.
Car, certes, l’Allemagne est-elle une grande nation ! Mais enfin, de là à se mettre systématiquement à sa botte (sans vouloir faire, là encore, de mauvais jeux de mots), comme le fait trop souvent la France historiquement, il n’y a là qu’un pas, qui là non plus n’est pas nécessairement celui de l’oie (Dieu nous en préserve), à ne pas franchir ! Aussi serait-il peut-être temps que la France sorte enfin, et définitivement, de son complexe allemand.
Un discours de Premier ministre plus que de président
Du reste, de quoi nous a-t-il entretenu, lors de son intervention télévisée de ce 29 janvier, Nicolas Sarkozy, sinon, encore et toujours, et seulement surtout, d’économie, de stratégie financière et de plans d’austérité ? Oui, on aurait dit un éternel Premier ministre, plutôt que le président de la cinquième puissance mondiale, qui s’exprimait là.
Tout y était désespérément petit, convenu, banal, prévisible, répétitif, fabriqué, artificiel, ennuyeux, étriqué, aseptisé, inodore et incolore. Aucune analyse de fond ! Aucune vision d’ensemble ! Aucun projet de société ! Aucune vision politique, pas même à court terme ! Aucune réflexion, pas la moindre, sur l’avenir ! Aucune dynamique ! Aucun élan ! Aucun rêve (je n’ai pas dit, la nuance conceptuelle est là de taille, chimère). Rien que des comptes d’apothicaire ! De sordides et misérables chiffres, d’un réalisme aussi creux que négatif, de calculette déréglée : le comble pour un président soucieux de réguler les non-règles de ce capitalisme forcené qu’il aura pourtant contribué à forger, paradoxalement et malgré ses dénis, en France comme en Europe.
Pis, le mot “culture”, par exemple, n’a pas été prononcé une seule fois par Sarkozy, dans ce discours aux allures, déjà, de défaite annoncée ! Ni les mots “civilisation”, “humanité”, “intelligence”, “esprit”, “pensée” ou “liberté”. Bref, tout ce qui fait la hauteur de vue, la noblesse d’un homme et la grandeur d’une nation.
La politique au service de l’économie
Non, ce fut là, véritablement, des propos au rabais, vides de toute signification profonde, d’une rare platitude et inquiétante pauvreté, sans aucun souffle, sans aucune perspective, sans nouveauté ni originalité, sans imaginaire ni idée, si modeste fût-elle !
La politique au service de l’économie, et non, comme cela devrait être dans une démocratie correctement entendue, l’inverse. Consternant ! Affligeant ! Pas même, en cette triste circonstance, l’illusion de la rhétorique, le plaisir de la formule ! Au secours, De Gaulle, Pompidou, Giscard, Mitterrand et même Chirac, votre sens de l’État, de la grandeur et de la beauté de la France, nous manque ! A l’aide, grands présidents de la Ve République, toutes tendances politiques confondues et par-delà tout clivage idéologique, revenez-nous !
Car la France, en ces jours terriblement moroses, où l’on confond la vraie humilité du devoir présidentiel avec la fausse modestie de la personne élue, se repaît, à l’Élysée, d’une insatiable médiocrité, injuste pour les Français.
Davantage, et pour le pire, Nicolas Sarkozy serait-il donc à la politique ce que Carla Bruni est, pour s’en référer à une analogie plus que familière, à la chanson : un refrain certes bien appris, à défaut d’être toujours bien écrit, mais néanmoins sans âme, ni même cœur ?
Bref, un texte sans voix !