Y a-t-il un modèle villageois d’intégration ? Le sociologue René Domergue s’est posé la question pour les Maghrébins des villages du Midi.
Badria est d’origine maghrébine. Elle travaille dans une école primaire d’un village du Sud de la France. Un jour, elle raconte à une mère le petit accident de son enfant : « Il s’est escané. ».
« Escané ? » En français méridional, truffé de tournures et de mots adaptés de l’occitan, « escané » veut dire « étouffé ». Badria a spontanément utilisé ce mot d’usage local. La mère, qui vient du « Nord », c’est-à-dire d’au-delà de Valence, n’a pas compris.
Question : laquelle des deux femmes est la plus « intégrée » ? Ce genre de petites anecdotes édifiantes fourmille dans L’intégration des Maghrébins dans les villages du Midi, le dernier ouvrage de René Domergue, sociologue installé dans le village de Montpezat, non loin de Nîmes (Gard), et qui se consacre depuis quelques années à l’ethnographie patiente des villages du Sud de la France.
On l’a peut-être oublié : la question de l’intégration des Maghrébins – terme générique qui fait simplement ici référence à l’origine revendiquée ou assignée — ne se pose pas seulement dans les banlieues des grandes villes. Dans la région nîmoise, les premières populations maghrébines sont venues pour travailler dans les vignes et se sont installées à la campagne. On avait besoin de bras. Dans certains cas, ce sont même les Pieds-Noirs passés en métropole qui ont fait venir ces gens avec lesquels ils avaient l’habitude de travailler en Afrique du Nord.
Petit à petit, les hommes ont été rejoints par leurs femmes. Des enfants sont nés. Les familles se sont installées. La confrontation des styles de vie et des habitudes ne va bien sûr pas de soi. Difficultés d’adaptation, des femmes en particulier, racisme ordinaire, incompréhensions… Tout cela est parfaitement décrit dans les récits des uns (les Maghrébins) et des autres (les « locaux »). (…)