En 2008, lorsque la revue d’affaires étrangères Foreign Policy a lancé un vote parmi ses lecteurs pour élire l’intellectuel le plus influent du monde, un leader musulman turc réfugié en Pennsylvanie, Fetullah Gülen, a gagné haut la main. À l’époque, le résultat du vote en a étonné plus d’un.
Mais depuis, le mouvement Gülen – fort de plus de 2 millions de fidèles et de 10 millions de sympathisants – s’est établi un peu partout en Amérique du Nord.
À Montréal, ses représentants possèdent une école privée et frayent avec l’élite politique, religieuse et médiatique. Portrait sur deux continents d’une confrérie musulmane hors du commun, qui suscite autant l’admiration que la peur.
(…) Pignon sur rue à Montréal
L’expansion du mouvement à Montréal est cependant indéniable. En plus d’avoir créé l’Institut du dialogue interculturel, les fidèles de l’ex-imam septuagénaire ont récemment mis sur pied l’école Sogut, établissement privé, situé à Montréal-Nord et auquel quelque 350 enfants – la majorité d’origine turque – sont inscrits. Pendant le ramadan, le mouvement organise des soupers familiaux auxquels sont conviés des leaders d’opinion.
Et à plusieurs reprises chaque année, une soixantaine de Montréalais prennent part à des voyages culturels en Turquie organisés et largement financés par la confrérie musulmane, une initiative semblable aux voyages de familiarisation orchestrés par le lobby pro-israélien.
Parmi ceux qui ont accepté l’invitation récemment, on retrouve notamment des professeurs des universités McGill et Concordia ainsi qu’un enquêteur de la Gendarmerie royale du Canada.
Pourquoi tout ce déploiement, digne d’une ambassade parallèle? «En général, à Montréal, le mouvement fait surtout la promotion du dialogue entre les cultures et les religions.
Un de ses objectifs est de donner une image positive de la Turquie et de l’islam turc, plus modéré. Mais il semble que dans certains événements, dont le souper de l’amitié, il y ait un objectif indirect politique qui soulève des interrogations»,
note Patrice Brodeur, détenteur de la chaire de recherche du Canada sur l’islam et le pluralisme. Fehmi Kala, principal représentant du mouvement Gülen à Montréal, nie cacher des intentions politiques.
Pieuvre internationale
Les activités du mouvement Gülen à Montréal ne sont que la pointe de l’iceberg d’un réseau en pleine expansion partout dans le monde. «Économiquement et socialement, le mouvement Gülen est un empire globalisé, un immense réseau d’écoles et d’entreprises aux quatre coins du monde, organisé de manière assez fluide. Au début, le mouvement était uniquement en Turquie, puis a vite pris de l’ampleur en Asie centrale après la chute de l’URSS. Depuis 2001, le mouvement a étendu ses activités dans le monde», note Berna Turam, professeure au département d’Affaires internationales à l’Université Northeastern. Diplômée de McGill, elle a consacré son doctorat en sociologie à l’étude du mouvement Gülen. (…)
Une autre controverse, liée à la délivrance de nombreux visas de travail à des enseignants turcs et leurs familles, fait aussi rage aux États-Unis, où plusieurs politiciens conservateurs se montrent suspicieux des visées du mouvement musulman et de son influence au sein de l’appareil gouvernemental. (…)