La France des années 2010 ressemble de moins en moins à la France des Lumières et des libres penseurs occidentaux du 19ème siècle, qu’ils soient allemands, anglais ou français. Tel est le sévère constat tracé par Philippe Nemo qui dans un court essai, entre analyse et pamphlet, nous confie qu’il ne reconnaît plus le grand pays intellectuel que fut la France il y a quelques décennies (La régression intellectuelle de la France, Texquis, 2011).
En spécialiste de la pensée libérale et de la philosophie politique, Nemo fonde ses conclusions sur une analyse très fine des lois votées par le Parlement qui, sous prétexte de protéger la mémoire et les communautés, interdisent, pour ne pas dire censurent, des propos qui pourtant, bien que pouvant choquer, ont toute leur place dans le débat public.
La loi Gayssot est visée, servant d’illustration édifiante à une ambiance d’époque assez bien croquée par l’auteur qui voit l’émergence d’une censure généralisée de l’exposé de certains sujets qu’il ne faut pas aborder et qui font prendre à celui qui s’y engage le risque d’être sévèrement condamnée par la juridiction.
(…) Ce « droit censuriel » va plus loin puisqu’il accorde à des associations dûment estampillées par l’Etat la possibilité de saisir la justice pour instruire un procès contre ceux dont les propos « suintent » le racisme ou l’antisémitisme. Comme le fait justement remarquer Nemo, ces associations ne sont ni des victimes, ni des représentants du ministère public. Cette étrangeté du droit français permet à ces associations d’être les auxiliaires d’une police de pensée qui au bout du compte, finit par devenir arbitraire (ou contingent, par opposition à nécessaire), à la fois par l’aspect sectoriel, voire sectaire, idéologique, de ces associations mais aussi par les difficultés qu’on les magistrats à évaluer s’il y a racisme ou antisémitisme. A la limite, tout énoncé contenant le mot « juif », « arabe », « noir » et maintenant « homo », « handicapé », devient potentiellement suspect.
Ce dispositif judiciaire ressemble à un tribunal d’inquisition comme ceux du Moyen Age où les contrevenants devaient prouver qu’ils pensaient conformément à la loi théologale.
La charge est terrible mais efficace. Sont visés les cercles maçonniques où règnent les idéologies exclusives, les pédagogues de l’ère mitterrandienne qui ont propulsé l’école produisant des crétins et celle religion de gauche qui tel un clergé sans théologie, s’arroge la légitimité de dire le bien et le mal. On pourra reprocher à Nemo d’être lui aussi idéologiquement orienté. C’est possible mais le diagnostic sur la perte de sens et de liberté dans les débats publics est recevable. Les intellectuels de gauche lui mettront sans doute l’étiquette de nouveau réactionnaire, au côté d’Eric Zemmour, de Natacha Polony et d’Alain Finkielkraut.
(…) Le résultat dans les années 2000, c’est qu’on ne débat plus mais qu’on intime à la pensée de se conformer à différentes doxa sous peine d’être anathémisé, voire excommunié. (…)