Gil Mihaely. Le 21 février, à la demande du gouvernement, l’Assemblée nationale a examiné en procédure d’urgence le projet de loi ratifiant le Mécanisme européen de stabilité (MES), sorte de Fonds monétaire européen. Son rôle : soutenir la stabilité d’un État membre dont les difficultés financières risquent de menacer la zone euro. Est-ce un bon outil pour résoudre les problèmes de la dette en Grèce ainsi qu’au Portugal et en Espagne ?
Jean-Luc Gréau. Je ferai une double observation préliminaire : pourquoi faut-il sauver les pays que l’euro protégeait et favorisait et sauver en même temps cet euro qui paraissait bâti pour durer des siècles ? Pourquoi les dirigeants européens passent-ils désormais l’essentiel de leur temps en négociations interminables alors que leur présence et leur action sont réclamées par ailleurs (au train où vont les choses, ils seront en conclave européen permanent) ?
Sur le Mécanisme européen de stabilité, nouvelle mouture du Fonds européen de stabilité financière (FESF), nous devons statuer : pouvons-nous sortir de la faillite grecque, irlandaise, portugaise, voire espagnole en surendettant un peu plus les voisins ? Je crois que c’est un contresens. Il fallait, dès mai 2010, accepter le défaut de paiement de la Grèce et sa sortie de l’euro.
D’ailleurs, l’efficacité du MES sera mise à l’épreuve dès le 20 mars, jour où le Trésor grec devra lever plus de 14 milliards d’euros pour se refinancer, somme qui équivaut à 110 ou 120 milliards pour un pays comme la France ou l’Italie. Les prêteurs accepteront-ils de souscrire sur la base des garanties accordées par l’Europe ? Peut-être avec l’argent que la Banque Centrale Européenne leur prête à un taux d’1%. Mais ce n’est même pas sûr.
Dans l’immédiat, la Grèce continue de s’enfoncer. Une entreprise sur quatre a mis la clef sous la porte. La moitié des entreprises restantes n’est pas en mesure de payer ses employés à l’échéance. Les salaires du privé ont baissé de 15% en moyenne, ceux du public de plus de 20%. Une économie de troc a commencé à s’installer, qui ne paie évidemment pas d’impôts. Les Grecs des villes commencent à retourner à la campagne pour exploiter des lopins de terre.
GM. Le MES n’aura de comptes à rendre ni au Parlement européen ni aux parlements nationaux. Et pour avoir accès aux aides du MES, un État devra avoir accepté toutes les dispositions sur l’austérité budgétaire inclues dans le traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance dans l’Union économique et monétaire (TSCG). La solution à l’actuelle crise de l’euro est-elle d’accélérer l’intégration européenne et de renoncer à la maîtrise de notre budget national ainsi qu’à une part importante de notre souveraineté ?
JLG. Le lien politique entre le MES et le traité de discipline budgétaire crée un imbroglio. Le traité vaut pour tous, même pour les Etats dont la dette n’a pas encore été menacée, c’est-à-dire que même la France devrait faire approuver son budget national par cette instance. Ce point devrait être, avec l’euro et les institutions européennes, au cœur de la campagne électorale. Son absence démontre la faiblesse des politiques. Peut-on croire un seul instant que François Hollande fera amender le traité ?
Quant à la « gouvernance » européenne, cette question pose un problème technique : sur quels critères apprécier la situation d’un pays ? Il y a quatre ans, l’Irlande affichait une dette publique de 25% du PIB et un excédent budgétaire. L’Espagne, une dette de 40% du PIB et un excédent budgétaire. Y avait-il de quoi les mettre sous surveillance ? Non, mais le problème se situait ailleurs, dans l’immobilier et le crédit bancaire.
GM. Cette question n’est pas technique mais éminemment politique… Les élections d’avril, mai et juin gardent-elles encore un quelconque intérêt lorsque quand les questions les plus importantes ne sont pas à l’ordre du jour ?
JLG. Vous avez raison et j’allais y venir. L’autre face de la question de la gouvernance européenne est évidemment politique : si, effectivement, le nombre d’ambassades, de lycées français à l’étranger, d’avions de chasse de la France doit être fixé à Bruxelles, nous n’avons guère de raison de voter. La Grèce et l’Italie sont aujourd’hui gouvernées par des banquiers nommément désignés pour appliquer des programmes « européens » de redressement de leur pays. La démocratie est au bord du gouffre. J’ajoute un point sur lequel nos politiques et nos journalistes sont muets. La Grèce et l’Irlande se sont proclamées « portes d’entrée de la Chine en Europe » pour attirer les capitaux chinois. Or, nous avons subventionné ces deux chevaux de Troie par le biais des fonds structurels européens puis engagé le crédit de la France, de l’Allemagne et des Pays-Bas (entre autres) pour éviter leur défaut de paiement instantané. Pourquoi la solidarité joue-t-elle dans un sens et pas dans l’autre ?