Fdesouche

Dans ma chronique de jeudi portant sur le plus récent livre de Mathieu Bock-Côté, Fin de cycle, j’écrivais que le jeune sociologue nous invitait à renouer avec ce que nous sommes, en « célébrant notre passé rural, en reconnaissant l’importance de la culture catholique dans la construction de notre identité et en cessant de dire qu’il ne s’est rien passé au Québec avant la Révolution tranquille ».

Ce passage m’a valu un courriel fielleux d’un lecteur :

« Le portrait du peuple québécois d’avant la Révolution tranquille n’avait rien de bien glorieux. Pauvreté intellectuelle, corruption gouvernementale, crimes incestueux au sein des familles, domination de l’élite anglophone, mainmise de l’Église sur le peuple québécois qui a été volontairement gardé dans l’ignorance par les hommes en soutane…»

Bref, avant les années 60, le Québec était un trou noir gangréné par la bêtise, le racisme et l’ignorance crasse.

Tout juste si on ne jouait pas du banjo dans les arbres comme les personnages arriérés de Délivrance, le film-culte de John Boorman racontant les mésaventures de quatre intellectuels citadins pourchassés par des hillbilies édentés et consanguins…

AVANT NOUS, LE DÉLUGE

C’est le portrait que nous ont longtemps brossé les babyboomers.

« Heureusement que nous avons passé le balai et secoué la cage, sinon vous vivrions encore comme des animaux. Voyez-vous, avant nous, au Québec, c’était le déluge, l’obscurité, la Grande Noirceur…»

Quel mépris, quelle arrogance…

Comme s’il ne s’était rien passé avant l’arrivée miraculeuse des technocrates de l’État « moderne », des enfants de Woodstock et de mai 68 !

Et le Refus Global, les amis ? Félix Leclerc, Maurice Richard, le courage et la débrouillardise de nos ancêtres qui ont bravé les éléments, la tradition orale, les contes, l’entêtement de nos grands-parents à continuer de parler français, la générosité et la compassion des religieuses, les artistes de variétés qui ont fait le bonheur des noctambules du Montréal des années 50, Marie Victorin, Lionel Groulx, Félix-Antoine Savard, Germaine Guèvremont, Claude-Henri Grignon, les intellectuels de L’Action catholique tout ça, c’est de la merde ?

Ce sont des arriérés, les gens que l’on voit dans les documentaires de Perrault ?

LES HÉRITIERS

Longtemps, beaucoup trop longtemps, j’ai moi aussi jeté un regard hautain sur cette époque. Réflexe stupide d’un citadin pseudo-branché qui croyait que le monde s’arrêtait hors des limites du Plateau…

Or, avec l’âge, j’ai appris que la vie n’est pas rupture, mais continuité. Et qu’il n’y a jamais eu de « génération spontanée », seulement des héritiers.

Heureusement, certains intellectuels combattent d’arrache-pied pour détruire le mythe « glorieux » (et mensonger) de la Grande Noirceur. C’est le cas de Mathieu Bock-Coté, mais aussi d’Éric Bédard, mon confrère qui s’occupe de la chronique Histoire.

Dans Recours aux sources, le livre passionnant qu’il a fait paraître récemment chez Boréal, Éric Bédard nous montre que loin d’être obscur, notre passé est au contraire lumineux.

« La seule façon d’éviter de devenir étrangers à nous-mêmes est d’assumer plus sereinement notre passé », dit-il.

S’ENRACINER

Au lieu de se déraciner de notre passé, il faut au contraire s’enraciner, plaide Bédard.Et célébrer « la ténacité, les sacrifices, les rêves et les ambitions de nos ancêtres sans lesquels nous serions rien ou si peu »…

Canoe

 

Fdesouche sur les réseaux sociaux