Avec la hausse du prix du fuel, les Grecs coupent le chauffage central et rallument leur cheminée. Le bois devient une denrée précieuse, et des entreprises en profitent. Certains Athéniens se chauffent au bois parce qu’ils ne peuvent plus payer leurs factures de fuel.
Lorsque l’on arrive dans ce quartier de la banlieue nord d’Athènes, un quartier plutôt bourgeois, de grandes maisons individuelles et d’appartements confortables, la jeune femme qui nous a alerté sort en trombe de chez elle.
Elle déborde de colère, écourte les salutations, traverse la rue, poursuit ses explications rageuses, s’arrête enfin. Elle désigne deux troncs coupés, là voyez-vous même, sur cette ligne régulière sur laquelle se dressent de rares et minces arbres. Elle est profondément indignée : des hommes sont venus couper du bois en bas de chez elle !
Son voisin ne s’est pas démonté, il a relevé la plaque minéralogique des voleurs et les a dénoncé à la police . Laquelle a ricané : « Vous voudriez qu’on s’occupe de types qui coupent du bois alors que la criminalité galope ? »
Les Athéniens rallument les cheminées
Ses voisins ont rallumé les cheminées et éteint les chauffage centraux. Parce qu’elle vient d’avoir un bébé, elle a fait le choix de continuer à payer, même si 400 euros mensuels pour chauffer sa maison de 120 mètres carrés, c’est quand même beaucoup d’argent.
Dans ce quartier, construit ces dernières décennies, il était du dernier chic d’avoir une cheminée dans son salon. Désormais, elle est vitale. « Le soir, ça ressemble à un village. Toutes les cheminées fument, l’odeur du bois n’est pas désagréable mais enfin, ça rappelle que les temps sont durs », intervient Vassilis, l’interprète avec qui je parcours Athènes.
Les prix du fuel ayant explosé, l’hiver étant anormalement froid – ou du moins est-il vécu ainsi cette année – ce sont les entreprises de vente directe de bois qui se multiplient. Allez voir quelques rues plus loin, conseille la mère de famille, elles poussent comme des champignons.
La Grèce doit importer du bois
Quelques rues plus loin, je rencontre Kostas Sallis. Il consent à nous parler de son métier : « J’espère quand même que ce n’est pas une nouvelle astuce du fisc pour nous faire avouer notre chiffre d’affaire. »
La succursale qu’il dirige n’est installée dans le quartier que depuis quatre mois – des panneaux viennent rappeler qu’il succède à une entreprise de BTP – mais dans son bureau en préfabriqué, il évoque le métier en briscard du bois – voilà sept ans qu’il en est, rien à voir avec toutes ces petites entreprises qui naissent ces derniers mois et meurent tout aussi rapidement. Il ne craint pas leur concurrence :
« La demande est énorme, il y en aura pour tout le monde. Mais le problème pour ces petites entreprises, c’est que les fournisseurs sont déjà en rupture de stocks. On importe du bois désormais, et les taxes sont énormes. Il ne faut pas oublier que l’économie du bois est fondée sur celle du pétrole. On en a besoin pour le transport. Or, les taxes sont là aussi de plus en plus élevées. Les commandes augmentent mais les taxes aussi… Seuls les grands vont survivre. »
Il ne s’étend pas sur ses propres difficultés, laissant entendre qu’il est du côté des « grands », de ceux qui peuvent « réserver le stock existant en payant en avance ». Il est fier de son bois, du bois grec (du chêne et de l’olivier) pas celui que font venir certains de Bulgarie et qui est inapproprié pour une combustion de cheminée. Au-dessus de son bureau, une affiche indique ses prix :
« Un kilo : 20 centimes
Un sac : 10 euros
Un sac de charbon : 10 euros »
C’est évidemment meilleur marché que le fuel, dont le prix a été multiplié par deux cette année, et dans un rayon de 10 kilomètres, le fameux quartier des cheminées, ils n’arrêtent pas de livrer. Son entreprise connaît une augmentation de 60% de la demande par rapport à la même période l’année précédente.
Le chauffage collectif est désormais éteint
Et ceux qui n’ont pas de cheminée ? Ils s’achètent un poêle à bois ou arrêtent de se chauffer. Au centre d’Athènes, il n’y a pas d’estimation, mais nombreux sont les immeubles qui ont fait le choix de couper le chauffage collectif. Trop de charges pour les habitants. A chacun de se trouver sa solution : sortir le soir, s’habiller chaudement pour dormir, investir dans un poêle à bois… Vassilis blague :
« Avant, on disait “viens ma belle dans ma Porsche Cayenne”, c’était les années fric. Maintenant, c’est “viens chez moi, j’ai allumé le chauffage”. »
Kostas, pour que l’on prenne conscience de la paupérisation de la population, assure que de plus en plus souvent, les quantités commandées sont ridicules ; parfois « 4 ou 6 euros ». Il n’a pas le cœur à refuser.
Quand je l’interroge sur les arbres coupés dans le quartier, il confirme que le phénomène existe, mais que l’abattage sauvage est surtout le fait d’entreprises : « Les fournisseurs coupent plus d’arbres qu’ils n’ont droit de le faire. C’est d’autant plus courant que les services forestiers ont été démantelés. »
Une dépêche de l’AFP nous apprend qu’« après constatation d’abattages illégaux, les services forestiers ont émis 1 500 plaintes en 2011, soit deux fois plus que l’année précédente, dans un pays où 70% des forêts sont publiques ».
Le plus triste, laisse tomber Kostas, c’est qu’on se chauffe mal au bois.
« La cheminée, c’est du chauffage psychologique. Ça ne chauffe qu’une pièce, pas une maison ni même un appartement ! » Il regrette une période lointaine. C’était avant 2010 : « Le véritable usage de la cheminée, c’est celui d’antan. On avait le chauffage central et on allumait la cheminée pour le plaisir de boire un whisky devant. »
Les yeux rivés sur sa télé, il commente maintenant les cours de la Bourse : « J’ai acheté des actions autrefois. Je voulais doubler mon patrimoine, alors j’ai acheté dans le BTP. » Il rit d’avoir eu si peu de flair : « J’aurais dû le dépenser cet argent. En profiter. »