Tribune libre de Paysan Savoyard
Les patriotes et les partis qui les représentent, à commencer par le Front national, suscitent, à leur égard, la haine. On veut les interdire. On les poursuit en justice. On veut fermer leurs sites d’information. On se félicite que leur candidate ait des difficultés à réunir des parrainages. Son temps de parole dans les médias est très inférieur à ce que représente dans l’opinion le courant qu’elle dirige. Des manifestations donnant lieu à des violences verbales et physiques sont organisées pour perturber ou empêcher ses meetings. Les responsables et les électeurs des partis patriotes sont injuriés, insultés, traités de nazis et de fascistes…
Aucun autre courant politique ne provoque une telle détestation. Les écologistes ou les gauchistes peuvent agacer ou faire sourire les partisans de la droite d’argent ; mais ils ne suscitent pas de haine. Quant aux gauchistes, leur détestation pavlovienne des riches et des patrons est sans commune mesure avec la haine qu’ils éprouvent à l’endroit du Front national et de tous ceux qui se réclament de l’identité Française.
Quelle est, au juste, la raison d’une telle haine, qui transcende et réunit tous les autres courants, de la gauche à la droite, du centre à l’extrême gauche ?»
Laissons de côté les motivations des oligarques et de leurs entourages. Pour eux le Front national est le danger prioritaire : parce qu’il se situe en dehors du « Système », qu’il entend rompre avec lui et qu’il s’efforce de dévoiler la connivence qui existe entre les pseudo-adversaires du consortium gauche-droite.
Le patronat, les journalistes, les intellectuels organiques, les responsables des partis du Système, l’ancien ministre et toujours sénateur M. Mélenchon chargé de ratisser des voix pour le compte de M. Hollande, les responsables des principaux lobbys, tous multiplient les déclarations violemment hostiles au Front national, les livres, les films et les reportages à charge : toutes ces composantes du « Système » savent que ce parti est l’adversaire privilégié de l’oligarchie ; leur acharnement à le combattre est somme toute logique et rationnel.»
Ce n’est donc pas des oligarques eux-mêmes, ni de leur entourage, de leur cour et de leur arrière-cour, dont nous voulons parler. Nous entendons ici nous intéresser plutôt à la psychologie des électeurs de base, auxquels l’élection présidentielle donne l’occasion, dans les conversations de la vie courante, dans le milieu familial, amical, professionnel, d’exprimer la haine et la colère qu’ils éprouvent à l’égard du Front national et plus généralement à l’égard de tous ceux qui se réclament de la patrie, des Français de souche et de l’identité Française.
Pourtant, la candidate du Front national a décidé de ne pas mettre l’accent sur la question de l’immigration (comme déjà en 2007 d’ailleurs). Elle a choisi de placer l’économie et le social au centre de son programme, en adoptant qui plus est, en phase avec les attentes de la majorité salariée de la population, des positions clairement sociales et anti libérales. En outre, la candidate a cherché à « dédiaboliser » son parti et ne s’est livrée à aucun commentaire politiquement incorrect des évènements de la seconde guerre mondiale.
Et pourtant rien n’y a fait. La haine que la représentante du Front national provoque envers sa personne et son parti n’est pas moindre que celle que suscitait son père lorsqu’il était candidat. Pourquoi ce phénomène ? Pourquoi donc une telle haine ?
Si le Front national est haï, c’est pour cette raison toute simple : la plupart des millions de gens qui haïssent le Front national et qui saisissent toute occasion d’exprimer sur son compte une colère épidermique… partagent en réalité plus ou moins les analyses de ce parti, en particulier sur le sujet de l’immigration, pourtant le plus sensible et le plus controversé. Même ses détracteurs les plus acharnés sentent bien que le Front national est dans le vrai : et c’est précisément pour cette raison qu’ils le haïssent. Détaillons ce mécanisme psychologique, étrange en apparence, fort simple en réalité.
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La plupart de ceux qui haïssent le Front national savent bien que les analyses que ce parti effectue depuis des décennies sont les bonnes ; que les diagnostics et les pronostics qu’il pose sont justes ; que les solutions et propositions d’action qu’il formule sont les seules possibles. La plupart de ces électeurs remplis de haine à l’égard des « nationaux » et des « identitaires » pensent eux aussi, en réalité, qu’il y a beaucoup trop d’immigrés. Ils estiment eux aussi que l’immigration est un danger mortel. Eux aussi ne se sentent plus chez eux. Eux aussi se sentent plus ou moins envahis. Eux aussi préfèreraient qu’il y ait dans notre pays un nombre bien plus réduit de populations d’origine étrangère. Ils ne se l’avouent pas bien sûr et font tout pour refouler ce constat auquel ils ont abouti in petto. Mais ils n’y parviennent pas tout à fait et ont pleinement conscience que le discours généreux et ouvert qu’ils tiennent par ailleurs ne correspond pas à ce qu’ils pensent vraiment. Cette position de schizophrénie les place dès lors en situation de profond malaise.
Les gens qui haïssent le Front national ont plus ou moins conscience tout d’abord d’être des nigauds, des menteurs et des lâches. Ils savent qu’eux-mêmes se trompent, qu’ils se sont trompés depuis des années ou des décennies en niant les évidences que le Front national leur mettait sous les yeux. Ils savent qu’ils mentent en déclarant leur hostilité aux thèses « nationales » et « identitaires », alors qu’en réalité ils sentent bien qu’ils les partagent en secret. Ils savent confusément qu’ils se mentent à eux-mêmes. Ils savent que par lâcheté ils n’osent pas affronter la vérité.
Les électeurs qui haïssent le Front national savent qu’ils sont non seulement des menteurs mais également des hypocrites. Que leur vie entière est placée sous le signe de l’hypocrisie. Se déclarer solidaire des immigrés ; et s’arranger pour habiter dans des endroits où il n’y en a pas ou peu. S’affirmer violemment hostile aux mesures de restriction ou d’arrêt de l’immigration ; et scolariser ses enfants dans des établissements protégés. Se proclamer soucieux des pauvres, des pauvres d’ici et des pauvres d’ailleurs, des pauvres des villes et des pauvres des champs, des pauvres du tiers-monde, du quart-monde et du monde entier ; et surveiller jalousement son compte d’épargne et le cours de son assurance vie…
Ils savent enfin, et surtout, qu’ils éprouvent dans leur vie quotidienne, horresco referens, les mêmes sentiments primaires que les électeurs lepénistes. Eux non plus, ils ne sont pas à l’aise en présence d’immigrés. Eux aussi ils préfèrent se retrouver entre personnes de même origine et de même culture. Eux aussi éprouvent les mêmes craintes quand ils croisent des lascars dans la rue ou quand une bande de Cousins pénètre bruyamment dans la rame de métro où ils se trouvent. Eux aussi serrent contre eux leurs affaires personnelles quand ils avisent « des gens du voyage » arpentant les couloirs du RER. Tout comme les lepénistes et les « souchiens », les bien-pensants éprouvent des sentiments de peur. Ils craignent les immigrés, leur nombre, leur communautarisme, leur agressivité, leurs provocations, le caractère invasif de l’immigration. Ils sont au sens propre… xénophobes. Ils exècrent ces sentiments de peur et de xénophobie, mais les éprouvent pourtant… ce qui les conduits à se détester confusément eux-mêmes.
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Or le Front national les place en face de leur fausseté et de leur médiocrité. Il leur rappelle sans cesse implicitement qu’ils sont menteurs, hypocrites et lâches. Il leur fait ressentir qu’ils sont en eux-mêmes, en réalité, tout aussi xénophobes que les lépénistes qu’ils dénoncent. Le Front national et autres « patriotes » et « identitaires », en quelque sorte, les mettent à nu quotidiennement.
La chose est connue : qui dit la vérité n’est que rarement promis à un sort enviable. Tel la Cassandre de l’Illiade, on commence par refuser de le croire. On est rapidement tenté de le faire taire lorsque la vérité devient trop désagréable à entendre. C’est ainsi que Socrate, par ses questionnements obsédants, conduisait ses interlocuteurs à se dépouiller de leur carapace, les contraignant à prendre conscience de leur ignorance, de leur suffisance, de leur petitesse. Il provoquait la haine de ceux qu’il déstabilisait ; et on l’a mis à mort. Les « nationaux », « patriotes » et autres « identitaires » jouent, toutes proportions gardées, une fonction du même ordre. En faisant accoucher la vérité, ils ne peuvent que susciter à leur tour la colère et la haine.