Pour garantir leur solvabilité, les États disposent de quantités d’or gérées par les banques centrales nationales. Ces réserves n’étant soumises à aucun régime commun aux pays de la zone euro, l’Allemagne pourrait-elle réclamer de Paris quelques lingots en guise de garantie de nouveaux prêts ? Certains se posent d’ores et déjà la question…
Loin des préoccupations de nos concitoyens, se joue une bataille très serrée entre Jens Weidmann, le Président de la Bundesbank (Banque centrale allemande) et Mario Draghi, le Président de la Banque centrale européenne. Cette bataille technique tourne autour de la solvabilité de la BCE et de l’évolution des modèles économiques des pays membres de la zone euro.
La crise politique silencieuse au sein de la BCE
Lors de la mise en place de la monnaie unique, la BCE a mis en place un système de sécurisation des transactions financières appelé Target-2. Lorsqu’un consommateur grec acquiert un bien en Allemagne, celui-ci demande à sa banque en Grèce de transférer le prix du bien acquis vers la banque du producteur en Allemagne. Les sommes sont alors débitées du comptes de la banque centrale grecque et créditées sur les comptes de la banque centrale allemande.
Avant la crise financière de 2008, les banques commerciales, qui effectuaient ces transactions, empruntaient les sommes sur le marché privé. Mais la fermeture du marché interbancaire et la hausse des craintes sur la solvabilité des États du Sud, compte tenu des montagnes de dettes, ont contribué à augmenter les déséquilibres de financement dans la zone euro. Les dernières statistiques font apparaître un compte créditeur pour la Bundesbank de l’ordre de 600 milliards d’euros, lorsque les banques centrales des pays du Sud et la Banque de France sont débitrices d’un montant équivalent.
Récemment, le président de la Bundesbank a adressé une lettre privée (et non publiée) à M. Draghi lui demandant de prendre des mesures pour sécuriser la créance de la Bundesbank. M. Weidmann demanderait, selon les informations qui ont fuité sur cette lettre, des garanties issues des actifs des pays du Sud. En ligne de mire de M. Weidmann, l’or détenu par les différentes banques centrales et qui sont, à ce jour, sous la responsabilité des différents pays membres de la zone euro.
Qui aura la main sur l’or européen ?
Les banques centrales des différents Etats membres de la zone euro détiennent des quantités importantes d’or qui garantissent la masse monétaire et évitent le risque d’inflation. Cet or a pour objectif de garantir nos partenaires étrangers sur notre capacité à sécuriser la valeur des billets d’euro qu’ils détiennent. A ce jour, l’Eurosystem (qui regroupe la BCE et les 17 banques centrales de la zone euro) détient quelques 500 milliards d’euros de capital. Plus de 300 milliards d’euros sont issus des plus-values sur les tonnes d’or dans les coffres des banques centrales.
Dans le cas où la BCE venait à enregistrer des pertes sur les actifs qu’elle détient (notamment les obligations souveraines acquises pour refroidir la crise des dettes souveraines) les plus-values sur l’or détenu par les banques centrales nationales serviront à les éponger.
Pouvons-nous imaginer Paris adresser quelques lingots d’or à Francfort pour garantir les prêts ? La question est posée par M. Weidmann qui ne cache plus son souhait de sécuriser les prêts que sa banque centrale a octroyé aux pays dépensiers du Sud.
Deux philosophies mais une seule réponse attendue
La philosophie allemande est de responsabiliser les pays dépensiers. La philosophie de M. Draghi est de considérer que la zone euro est un tout. En quelque sorte, nous sommes face à un mariage. Les termes de celui-ci n’ont pas été suffisamment discutés avant de célébrer les noces (la création de la zone euro). Sommes-nous mariés sous le régime de séparation ou celui de la communauté ? Cette question n’a pas été posée aux citoyens de la zone euro. Cependant, les deux banquiers centraux essaient d’y répondre.
Les Allemands souhaitent imposer un régime de séparation. M. Draghi penche pour la communauté. Sous le premier régime, chaque État devra faire des efforts pour rétablir ses comptes publics. Les pays du Sud devraient alors passer par une forte déflation des salaires (comme celle que supporte aujourd’hui les Grecs) pour rétablir leurs comptes et sécuriser leur « conjoint » allemand. Dans la philosophie fédérale (incarnée par la position de M. Draghi) le régime matrimoniale est celui de la communauté ce qui implique une solidarité financière pour le meilleur et pour le pire.
Nous ne pouvons que regretter que cette question ne fasse pas l’objet d’un referendum au sein de la zone euro. Le débat serait de répartir nos richesses et nos efforts ou de constituer une union des États, dans laquelle chacun gardera jalousement ses richesses, et bien entendu l’or de sa banque centrale.
Le rôle de la France n’a jamais été aussi essentiel
L’élection présidentielle française est importante puisque le prochain locataire du palais de l’Elysée devra sortir le débat entre M. Weindmann et M. Draghi du cercle feutré du Conseil des Gouverneurs de la BCE pour le transformer en un échange entre Paris et Berlin sur l’avenir de la zone euro. La construction européenne s’est faite par la puissance du couple franco-allemand. Ces questions devront se poser au niveau institutionnel et politique.
Nous ne pouvons qu’espérer que les Français choisiront en mai prochain un Président et lui donneront un mandat pour rétablir l’équilibre entre la France et l’Allemagne. Les marchés financiers attendent cette discussion impatiemment pour enfin siffler la fin de la bataille entre ceux qui pensent, comme les anglo-saxons, que la zone euro finira par éclater (compte tenu des problèmes de couple entre les conjoints), et ceux qui croient que les conjoints sont toujours amoureux et passeront cette crise pour donner naissance à un fédéralisme européen.
(Merci à Joe le Taxi)