Par Rafał Zasuń
La Pologne a posé son veto à la directive sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre après 2010, proposée lors du sommet européen à Bruxelles vendredi 9 mars. Un non sans surprise devant le flou de cette politique.
La confiance ne règne pas entre les fonctionnaires polonais et la commissaire européenne au climat, Connie Hedegaard – c’est le moins qu’on puisse dire. Mais là n’est pas le vrai problème. Les commissaires ne restent pas indéfiniment à leurs postes, et à Bruxelles, le bruit court que la prochaine Commission ne comportera aucun titulaire pour le climat.
Pis, la suspicion qui empoisonne l’atmosphère a commencé à gagner les relations entre Varsovie et quelques partenaires clés de la Pologne au sein de l’UE, à savoir l’Allemagne, la Suède et le Danemark.
Ce que les organisations écologiques et nos partenaires européens refusent d’admettre, c’est que la Pologne a déployé d’énormes efforts pour réduire ses émissions de dioxyde de carbone, en les ramenant de 453 millions de tonnes en 1990 à 377 millions de tonnes en 2009. Nous pourrions aisément atteindre l’objectif de l’UE (-20 % par rapport aux niveaux de 1990) d’ici à 2020.
Cela, sans passer par le système européen d’échanges d’émissions, qui ressemble à l’institution des indulgences au Moyen-Age, et sans avoir recours à de coûteuses subventions au profit de l’énergie éolienne.
Le mercantilisme et l’hypocrisie du XVIIe siècle
Nous y parviendrons en améliorant l’efficacité énergétique et en remplaçant nos centrales électriques héritées de l’époque communiste par des installations plus modernes, et ce en continuant d’utiliser du charbon. Cependant, aucun politique polonais sérieux n’affirmera jamais que les instruments de la politique climatique de l’UE sont inefficaces et mal conçus, car il touchera là à un tabou.
Dans l’autre camp, les choses ne sont guère meilleures. De toute évidence, la stratégie de l’UE est de faire en sorte que le charbon ne soit plus le premier émetteur de CO2. Le charbon est une source d’énergie plus chère que le gaz, et même le vent – et c’est là le moteur de la politique climatique.
Mais aucun politique occidental ne le reconnaîtra jamais ouvertement. Alors, on nous abreuve de platitudes sur les technologies au “charbon propre”, comme le stockage souterrain du CO2. En réalité, elles ne seront jamais adoptées parce qu’elles ne sont pas économiquement viables, la construction des centrales nucléaires ou de celles alimentées au gaz étant bien meilleur marché. Sur ce point, l’hypocrisie des fonctionnaires de l’UE et des dirigeants politiques est extrêmement agaçante.
Dans ce contexte, les politiques et les fonctionnaires polonais – qui ne sont en aucun cas férus de théorie du complot – craignent que le changement climatique ne devienne simplement un moyen commode de promouvoir des technologies dans lesquelles plusieurs pays ont acquis une grande expertise. En d’autres termes, les éoliennes danoises ou allemandes ont besoin de nouveaux marchés, parce qu’en Occident, les ventes marquent déjà le pas.
Ces soupçons sont-ils justifiés ? Là, en revanche, je n’en sais rien. Je crois qu’on a affaire à une imbrication d’éléments qui n’est pas sans évoquer celle décrite dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme, ce classique de Max Weber.
La nouvelle religion conciliait à merveille les intérêts matériels et spirituels des marchands et des industriels. Aujourd’hui, la lutte contre le réchauffement climatique est un domaine où l’on peut avoir à la fois des idéaux et des intérêts. Il est plus facile de faire supporter aux consommateurs le coût des subventions à l’énergie éolienne s’ils croient que c’est pour le bien de la planète. Et tant mieux si l’Allemand Siemens ou le Danois Vestas gagnent des fortunes au passage…
Au-delà des arguments écologiques, l’UE vend sa politique sur le climat en affirmant qu’elle permettra de s’affranchir des carburants fossiles – pétrole, gaz ou charbon – extraits dans des pays politiquement instables ou d’affreuses dictatures.
Non seulement on se croirait revenu au mercantilisme et à l’hypocrisie du XVIIe siècle (les importations de la Chine n’ont l’air de déranger personne), mais l’argument ne tient pas la route dans le cas de la Pologne.
Greenpeace, l’une des organisations les plus influentes en faveur d’une politique sur le changement climatique, a déclaré dans un communiqué après le veto de la Pologne que cela accroîtrait la dépendance de l’UE envers les carburants fossiles. “Cela coûte à l’UE 1 milliard de dollars par jour”, soutient l’organisation.
Pourquoi la Pologne devrait-elle se sacrifier ?
Greenpeace refuse de comprendre que la situation de la Pologne est exactement l’inverse. La lutte contre le réchauffement climatique oblige à remplacer le charbon par le gaz et l’énergie nucléaire. Pour la Pologne, cela signifie une plus grande dépendance vis-à-vis du gaz russe, d’autant que ses propres ressources en gaz de schiste restent incertaines.
Pourquoi la Pologne devrait-elle se sacrifier pour le reste de l’UE et renoncer à son charbon, alors que les traités de l’UE prévoient que les Etats membres définissent leur politique énergétique de manière indépendante ? Il semblerait que le rêve de la Pologne de devenir un Winkelried [héros suisse du XIVe siècle qui s’est sacrifié pour permettre la victoire de ses troupes] des nations ait vécu.
Il y a quelque temps, le commissaire au budget, le Polonais Janusz Lewandowski, a mis en doute la théorie du réchauffement planétaire, ce qui lui a valu d’être étrillé par l’Occident. Et sans doute à juste titre, car les politiques ne devraient pas intervenir dans le débat scientifique.
Mais ce n’est pas du tout la même chose de parler des conséquences économiques des décisions en matière de “climat”. Dans ce domaine, le gouvernement polonais a de bons arguments et doit s’efforcer de les faire passer auprès de l’opinion publique occidentale. Hélas, il n’essaie même pas…