Nacira Guénif-Souilamas, sociologue et anthropologue, d’origine algérienne, redevenue française par «réintégration», n’attend rien de l’élection présidentielle.
Cinquante ans après la signature des accords d’Évian, vingt ans après avoir reçu ma première carte d’électrice, dix ans après avoir du voter contre mes convictions pour éviter le pire, est-ce tout ce qu’il me reste : voter pour du beurre, accepter d’abolir mon droit de vote à une raison politique vacillante ? Tout cela pour ça.
Pour ma part, l’inquiétude résulte de ce moment particulier qui tarde à venir, celui d’une décolonisation enfin accomplie et acceptée. Elle est pour l’heure différée par une matrice coloniale installée dans nos imaginaires et nos vies, entre oppression banalisée et silence complice. […]
Est-ce là donc le propos d’une écervelée de plus qui dispose du précieux droit de vote par erreur ? C’est possible : après tout je ne l’ai obtenu que tardivement. Mon premier bulletin portait sur le référendum de Maastricht, déposé dans une urne à 30 ans passés, une fois épuisée une procédure longue et mouvementée de réintégration dans ma nationalité de naissance[…].
Cette même année, un 21 avril a eu raison de toutes les illusions nourries sur l’exercice démocratique et sur les promesses qu’il lui revient de tenir. […] Si alors le portrait de la République était encore pimpant, voire pour beaucoup incomparable, à tout le moins regardable, depuis il s’est ourlé de convulsions politiques jusqu’alors dissimulées. Il s’est crevassé de toutes les haines que seuls les opprimés, les marginalisés et autres minorés colorés, migrants et descendants compris, connaissaient trop bien, de face, et de profil, au quotidien, dans leur expression routinière. Il est éclaboussé de toutes les vomissures d’un pays qui souffre d’indigestions identitaires répétées. […]