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A la veille de l’élection présidentielle, le philosophe s’interroge sur les limites de la démocratie représentative et s’insurge contre la confiscation du pouvoir du peuple.

Le Nouvel Observateur L’élection présidentielle est généralement présentée comme le point culminant de la vie démocratique française. Ce n’est pas votre avis. Pourquoi?
Jacques Rancière Dans son principe, comme dans son origine historique, la représentation est le contraire de la démocratie. La démocratie est fondée sur l’idée d’une compétence égale de tous. Et son mode normal de désignation est le tirage au sort, tel qu’il se pratiquait à Athènes, afin d’empêcher l’accaparement du pouvoir par ceux qui le désirent.

La représentation, elle, est un principe oligarchique: ceux qui sont ainsi associés au pouvoir représentent non pas une population mais le statut ou la compétence qui fondent leur autorité sur cette population: la naissance, la richesse, le savoir ou autres.

Notre système électoral est un compromis historique entre pouvoir oligarchique et pouvoir de tous: les représentants des puissances établies sont devenus les représentants du peuple, mais, inversement, le peuple démocratique délègue son pouvoir à une classe politique créditée d’une connaissance particulière des affaires communes et de l’exercice du pouvoir. Les types d’élection et les circonstances font pencher plus ou moins la balance entre les deux.
L’élection d’un président comme incarnation directe du peuple a été inventée en 1848 contre le peuple des barricades et des clubs populaires et réinventée par de Gaulle pour donner un «guide» à un peuple trop turbulent.

Loin d’être le couronnement de la vie démocratique, elle est le point extrême de la dépossession électorale du pouvoir populaire au profit des représentants d’une classe de politiciens dont les fractions opposées partagent tour à tour le pouvoir des «compétents» (…)

Irez-vous voter?
Je ne suis pas de ceux qui disent que l’élection n’est qu’un simulacre et qu’il ne faut jamais voter. Il y a des circonstances où cela a un sens de réaffirmer ce pouvoir «formel». Mais l’élection présidentielle est la forme extrême de la confiscation du pouvoir du peuple en son propre nom.

Et j’appartiens à une génération née à la politique au temps de Guy Mollet et pour qui l’histoire de la gauche est celle d’une trahison perpétuelle. Alors non, je ne crois pas que j’irai voter.

Le nouvel Observateur

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