Interview exclusive d’Olivier Berruyer
Homme politique français, spécialiste des questions d’économie, Pierre Larrouturou a fait partie des rares à avoir prédit la crise de 2007. Avec le succès que l’on a pu constater. Cinq ans plus tard, il est l’un des fondateurs du collectif « Roosevelt 2012 », qui dénonce le silence général sur la gravité de la situation économique mondiale… et, surtout, propose 15 réformes immédiates pour échapper au pire. Rencontre.
Olivier Berruyer : Un vent d’optimisme souffle actuellement sur le pays. Cela signifie que la crise est finie ?
Pierre Larrouturou : Non la crise n’est évidemment pas finie ! Les chiffres du chômage pour le mois de février totalisent 20 000 chômeurs de plus, et 100 000 personnes qui tombent en fin de droits. C’est vraiment dramatique. D’autant plus que nous ne sommes pas encore tombés en récession, alors que c’est le scénario le plus probable : l’Allemagne a eu un 4ème trimestre 2011 négatif, l’Espagne vient d’annoncer qu’elle était en récession, l’Italie et l’Irlande suivent, et d’énormes nuages s’accumulent au-dessus de l’économie mondiale. La zone euro ne va pas bien, mais à nos yeux les États-Unis et la Chine sont encore plus instables. Nous risquons d’aller vers une crise plus grave que celle de 2007-2008.
O.B. : Alors on parle de l’Iran, qui est un risque géopolitique et économique majeur, mais les mêmes dangers pourraient venir de la Chine ?
P.L. : Je suis très inquiet de la situation chinoise. Depuis 2002, je parle de la dette américaine et dis qu’une fois que les États-Unis seront tombés, ce sera au tour de la Chine, avec un risque de conflit militaire. Tout le monde dit que la crise qu’on vit est semblable à celle de 1929. Or la crise de 29 a débouché sur la barbarie, et on n’a fait aucun saut moral suffisant pour être sûr que la crise actuelle ne fera pas de même. Il y a déjà 20% de chômage en Chine, et je le répète, les deux moteurs de son économie sont en train de tomber en panne simultanément. On a vu ce que ça a donné en Espagne : une bulle explose, il y a tellement de manifestations que Zapatero, un démocrate, démissionne et provoque des élections anticipées. En Chine, les tenants du pouvoir n’ont aucune envie de laisser ; ils sont même en train de se battre pour savoir qui va l’avoir l’année prochaine. Et ils annoncent qu’ils vont doubler leur budget militaire…
O.B. : Ils nous expliquent en tout cas que, grâce au Mécanisme européen de stabilité, il n’y aura plus de problèmes… Quelle est votre opinion sur ce qui a été voté durant le dernier trimestre de 2011 ?
P.L. : Il est incroyable, voire choquant, de voir comment nos dirigeants réagissent trop peu et trop tard. Le problème de la Grèce aurait pu être réglé il y a deux ans, en trois semaines. Officiellement, tout le monde est désormais d’accord pour qu’il y ait une « taxe Tobin » alignée sur le principe de la TVA – laquelle ne choque personne. Si, depuis trois ans, on avait pris ne serait-ce que 0,1% sur les transactions financières, destiné à une caisse gérée par le Parlement européen, ce dernier aurait accumulé au moins trois cent milliards. On aurait pu non seulement inviter la Grèce à davantage de rigueur, mais surtout desserrer l’étau, lui donner en quelques semaines l’oxygène qui lui manque, sans avoir besoin de l’unanimité de dix-sept ou vingt-cinq pays. Le Parlement européen aurait pu gérer la situation. Et malgré cela, on voit qu’on perd du temps. Tout le monde est officiellement d’accord, mais en réalité le pouvoir des lobbys financiers est terrible.
On peut comprendre que les Allemands ne veuillent pas payer pour les Grecs ! Tout le monde dit que les Allemands sont riches et qu’ils peuvent payer, mais d’après l’équivalent de l’INSEE en Allemagne, les salaires moyens en euro constant on baissé de 4,2% pour l’ensemble des salariés allemands depuis dix ans. Hartz IV, ce ne sont pas juste quelques personnes qui ont souffert : les chiffres officiels montrent que 80% des allemands ont vu leur salaire réel reculer depuis dix ans, et qu’il faut être parmi les 10% d’en haut pour avoir vu son salaire augmenter. Si on ajoute tous les clichés qu’on peut connaître sur les Grecs, leur paresse, etc., on peut comprendre que les Allemands n’aient pas envie de les aider… Or ce n’est pas au peuple de payer, c’est aux marchés.