Philippe Conrad s’entretient avec Pascal Gauchon autour de son dernier ouvrage, “Géopolitique de la France” (Presses Universitaires de France, 2012).
La France est une puissance moyenne… mais c’est une des premières puissances mondiales. On l’oublie trop. C’est dans beaucoup de domaines la principale puissance européenne, on n’y pense jamais assez. Voici un livre pour remettre quelques idées en place et en rappeler les évidences. Une potion anti-autodénigrement.
Le livre de Pascal Gauchon. « Géopolitique de la France » est de cette sorte de livres qu’il faudrait garder à porter de main, pour les moments de spleen. Son sous-titre, « Plaidoyer pour la Puissance », présente un livre, qui peut se concevoir comme une potion contre les désordres mentaux causés par les inconséquences des Agences de notation, le déferlement des « modèles », dont le dernier en date, l’Allemand, et par les accusations de type guerre civile venant de générations autoproclamées « spoliées par leurs ainées ».
C’est un livre qui énonce, sans fard ni outrance que si la France n’est qu’une puissance moyenne, elle est toujours parmi les cinq premières puissances du monde pour le PNB, pour les exportations, que, parmi les nations européennes, elle est au premier rang dans un nombre impressionnant de domaine et que, dans le futur, elle sera première par sa population.
Pascal Gauchon fait démarrer sa réflexion fort loin. On lui dira qu’il retourne à la nuit des temps. On aura tort. Il retrouve là, sans s’y perdre en commentaires lyrico-historiques, la thématique des grands auteurs sur la constitution et l’élaboration de la France. Il montre comme tous que la France est plus le produit d’une volonté que d’une nécessité ou d’une fatalité. La France ne s’est pas trouvée là, “parce qu’une ïle”, “parce que des ressources naturelles” ou “parce qu’une peuplade”. Elle est là parce que des hommes l’ont voulu presque « malgré la nature ».
L’idée d’un « projet de la France », parcourt tout ce livre. Parce qu’il y a projet, il y a moments critiques, il y a tentatives et ratages. Il y a ces grands moments où l’Etat peut beaucoup sans pour ôtant nier l’individu. L’auteur raconte avec équité, sans complaisance ces grands moments de l’Etat, comme coordinateur ou commanditaire de la fabrication d’une nation. Sa description de la France de l’après-guerre et toute l’ossature étatique sur laquelle elle s’appuie est forte et bienvenue. Il faudra peut-être un jour revenir vers ces institutions qui ont accompagné la réinvention de la France, Datar, Commissariat au Plan, Crédit national, entreprises publiques que le vent du libéralisme saisissant l’Europe, mais aussi les gouvernements français, a balayé.
Le projet France, ou bien sombrait dans la solitude d’un ancien grand pays ou s’arrimait à quelque chose de plus grand. La description des rapports entretenus entre la France et l’Europe, longtemps considérée comme un des outils du projet France, est juste et bien faite. Le parti que la France a tiré de l’Europe, pour se moderniser, pour se bousculer elle-même, pour à la fois s’ouvrir et aussi débloquer ses propres forces est très bien venu. L’Europe de l’espace, l’Europe de l’aviation sont là pour compléter l’Europe de l’Agriculture, et annoncer l’Europe de la monnaie. A chaque fois, la France a voulu faire en sorte que sa volonté de puissance soit endossée par les membres de l’Union.
La mondialisation, la perte d’autonomie de l’Etat, le libéralisme à l’anglo-saxonne qui a saisi les bureaucraties bruxelloises, le changement de nature même de l’Allemagne réunifiée, l’élargissement voulu de l’Europe, sans trop considérer, que le projet « France » ne l’imposait pas, la régionalisation, tout aujourd’hui concourt pour que la France se trouve confrontée à un défi nouveau. Tout aussi exceptionnel que ceux qu’elle a affrontés durant le siècle qui précède, tout aussi troublant et complexe.
Le « Plaidoyer pour la Puissance » que livre Pascal Gauchon prend son sens face à ces défis. C’est un plaidoyer pour que la France continue à se vouloir et ne se laisse pas aller au doute sur fond de crise économique, de pays qui émergent et de voisins qui roulent des mécaniques. Ce n’est pas un bréviaire pour entretenir la foi, c’est un mémento pour énoncer et rappeler les moyens dont la France dispose.
L’exception française à cette aune n’est pas la manifestation d’une personnalité revêche et ombrageuse, c’est l’ensemble des moyens dont la France peut s’enorgueillir de posséder en propre, à sa main et par lesquels la volonté d’être français est non seulement possible au sens purement national mais aussi revêt une valeur universelle.