L’émergence et le succès d’un nouveau mot constituent généralement un phénomène très révélateur. En interrogeant les modalités de son apparition, on interroge les mutations de notre société, ses contradictions, peut-être aussi ses fantasmes.
La politiste Réjane Sénac, enseignante à Sciences-Po Paris, a procédé à un tel travail avec le mot «diversité». Son récent ouvrage, L’invention de la diversité, impressionne par le caractère exhaustif des investigations conduites par l’auteur. A plusieurs reprises, la diversité est présentée comme «un fait». L’auteur reprend ainsi les propos de Dominique Schnapper, qui rappelle que «la France a toujours été plurielle», et que la seule vraie nouveauté tient à ce que «sous l’influence des valeurs démocratiques, nous voulons consacrer et célébrer les différences». L’ouvrage cite également Christine Boutin, auditée en 2008 avec Fadela Amara devant un comité présidé par Simone Veil, et déclarant que «la diversité ne se décrète pas. Elle se constate: notre société est diverse».
Mais si la diversité est un simple fait, comment expliquer la diffusion récente du terme et la rapidité avec laquelle il a envahi nos discours? Peut-être convient-il de redire avec Nietzsche qu’il n’y a pas de faits, mais «seulement des interprétations, et des interprétations d’interprétations»? C’est la question que soulève l’ouvrage. (…)
Même si l’auteur attend la page 256 de l’ouvrage pour l’admettre, il ressort des rapports aussi bien que des entretiens que la diversité est moins un concept que «le nom d’un problème». Quel est ou plutôt quels sont ces problèmes ? Celui de l’échec apparent de notre modèle républicain d’intégration, dont l’explosion de nos banlieues en 2005 fut le grand révélateur. Mais également les difficultés qu’éprouvent nos responsables politiques à concilier la tradition égalitaire républicaine et le respect de différences dont un monde globalisé et des frontières perméables imposent la palette à tous les regards. La diversité est ainsi l’autre nom du grand écart que nous sommes obligés d’accomplir entre la protection des minorités et l’intégration à laquelle nous voulons continuer à croire.
Il est frappant de constater que la plupart des éloges adressés à la diversité et relevés dans l’ouvrage sont des éloges «intéressés» entre «atout pour l’entreprise» et «exploitation des talents». Nul ne l’a avoué plus naïvement que le ministre norvégien Ansgar Gabrielsen: «La diversité, c’est bon pour le business.»
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