Les marchés mettent l’Espagne à genoux. Des citoyens, inspirés par une initiative grecque, demandent un audit des créances publiques et, le cas échéant, leur annulation.
Dans le ménage de l’Etat, l’intérêt de la dette a remplacé les services publics. Plus les marchés financiers renâclent à acheter les titres de la dette espagnole, plus le coût du remboursement de ses intérêts augmente. A la suite de l’annonce de l’injection de 23,5 milliards d’euros pour sauver sa quatrième banque – Bankia – de la faillite, les taux à dix ans de l’obligation espagnole de référence ont dépassé les 6,45% le 29 mai. Ce qui devrait encore accroître le coût du remboursement annuel des intérêts de la dette, déjà chiffré à 28,8 milliards d’euros lors de la présentation du budget 2012 début avril. Dans le même budget, on apprenait une coupe de 27,3 milliards d’euros dans les services publics.
La dette espagnole mérite-t-elle une telle phobie? La part publique de la dette ne représentait «que» 68% du PIB en 2011, alors que celle de la France dépasse les 85%. Avec le sauvetage de Bankia, elle pourrait augmenter jusqu’à 79,8% du PIB, prévoit le gouvernement. Un chiffre encore inférieur à celui de l’Allemagne, qui cumule 2080 milliards d’euros de dette publique, soit 81,2% de son PIB.
Privatisation des bénéfices, mutualisation des pertes
En réalité, ce qui effraie les marchés, c’est la dette privée: «D’après McKinsey Global Institute, la dette des entreprises (hors banques) est estimée à 134% du PIB et celle des ménages dépasse les 80%. Le problème d’endettement en Espagne concerne le secteur privé avant tout», rappelle la journaliste économique française Stéphanie Villers. Le New York Times le confirmait il y a peu, en s’attardant sur les 9 milliards de dette de la société de construction A.C.S du magnat Florentino Perez.
Mais en bout de chaîne, ce sont les finances publiques qui trinquent. «Les coupes budgétaires sont faites pour assainir les comptes publics… Pour pouvoir acheter de la dette privée», dénonce Eulàlia Reguant Cura, de l’ONG Justicia i Pau.
C’est quoi une dette illégitime?
Avec ses 32 milliards d’euros d’actifs toxiques liés à la bulle immobilière, Bankia est la huitième banque qui passe sous le contrôle des pouvoirs publics.
A chaque fois, le processus est le même, rappelle l’économiste de Justicia i Pau, celui de pertes privées qui deviennent à la charge de l’Etat: «L’Unimm, par exemple, a été achetée par la BBVA, mais c’est l’Etat qui garantit 80% de ses actifs toxiques. Une fois réalisé l’assainissement des comptes par l’Etat à hauteur de 380 000 euros, la BBVA a racheté ce groupe de caisses d’épargne à 1 euro, explique-t-elle. A présent, Bankia a besoin d’au moins 23,5 milliards d’euros pour assainir ses fonds et c’est encore l’Etat qui va mettre la main à la pâte. Mais personne ne sait si la somme sera remboursée un jour.»
Peut-on dire alors que cette dette est illégitime et que les citoyens ne devraient pas la rembourser? C’est la position avancée par la Plateforme pour un audit citoyen de la dette, créée en mars 2012 par des entités comme Justicia i Pau, le 15M ou Ecologistas en Accion.
«La dette est illégitime quand les raisons pour lesquelles elle a été contractée n’ont pas bénéficié aux citoyens. En Espagne, il s’agit de la dette émise pour générer des infrastructures inutiles, comme l’aéroport de Castellon qui n’accueille pas d’avions, ou celle qui permet de sauver des banques qui s’enrichissent et font payer les citoyens à leur place», estime Eulàlia Reguant Cura.
Bankia serait alors un bon exemple de dette illégitime. Ainsi les Espagnols viennent d’apprendre qu’Aurelio Izquierdo, l’un des ex-dirigeants de Bankia, va toucher 14 millions d’euros d’indemnités, alors que la banque renflouée par les deniers publics vient d’annoncer des pertes de 3,3 milliards d’euros en 2011.
S’inspirer des pays du Sud
Les expériences de plusieurs pays du Sud rappellent que le paiement intégral de la dette n’est pas une fatalité. En Argentine, le gouvernement Kichner a renégocié une bonne part de la dette et a soldé ses relations avec le FMI en 2005. L’Equateur a réalisé un audit de la dette et en septembre 2008, après un rapport considérant la majorité de la dette illégitime, le gouvernement n’a remboursé que 30% de la dette à ses créanciers.