Sans stigmatiser ou montrer du doigt la communauté musulmane qui réside en Corse, il est bon de savoir que 20 % de la viande de bœuf importée dans l’île et la totalité de la viande d’agneau est… halal.
Voilà un fait qui mériterait d’être mentionné de manière officielle sur les étals pour que les consommateurs insulaires non musulmans aient davantage de lisibilité. Si le mode d’abattage ne change en rien la qualité de la viande, ni son prix,
il n’en demeure pas moins que beaucoup de consommateurs se retrouvent donc avec de la viande halal dans leurs assiettes. Et ce, malgré eux et sans qu’ils le sachent.
Pour le respect de la bête
Les bouchers insulaires, comme les grossistes en viande, sont mis eux aussi au pied du mur et n’ont bien souvent comme solution que celle de revendre la viande qu’ils ont reçue. Cette dernière se retrouve alors dans le circuit traditionnel.
Cette situation est aujourd’hui dénoncée par le syndicat des bouchers-charcutiers de Corse représenté par leur président Jean-Charles Martinelli. « Avant toute chose, il faut savoir que la viande halal est fondée sur un rituel d’abattage qui concerne la religion musulmane.
Cette façon de tuer ne correspond pas à la méthode traditionnelle et conventionnelle que nous pratiquons, nous les artisans bouchers. Nous sommes pour le respect de la bête. Les gros abattoirs du continent, pour des raisons économiques, ne font plus que du halal et nous imposent cette viande.
Je ne suis pas contre le fait qu’il y ait, pour nos amis musulmans, une viande spécifique, mais je souhaite et mon syndicat également, une plus grande lisibilité pour le consommateur avec un étiquetage bien précis. Pour vous citer un exemple, un jour j’avais commandé un bœuf de concours. J’étais monté le choisir moi-même au Salon de l’agriculture. Et quand j’ai reçu la carcasse elle était estampillée casher. J’ai été obligé de la mettre dans le circuit traditionnel. Et cela s’est produit aussi avec d’autres bouchers ».
« 100 % de l’agneau est halal »
Les grossistes en viande de la région bastiaise se retrouvent eux aussi devant des arrivages où figure le tampon viande halal sans qu’aucune commande en ce sens n’ait été passée. C’est le cas notamment dans les établissements Castelli comme le confirme Jean-Charles Remuto, responsable des achats : « 20% du bœuf que nous recevons est halal.
L’agneau qui arrive de l’export est totalement abattu selon ce rituel. Cette viande se retrouve ensuite dans le circuit normal et dans les assiettes de tous les consommateurs peu importe leur religion. »
Pour Tony Gandolfi des établissements éponymes, les raisons économiques priment sur le reste dans le tuage. « Pour les grandes structures, ce n’est pas rentable de ne faire du halal que de temps à autre. La souffrance des animaux est un critère à prendre en compte. Et c’est pour cela que nous rejetons cette pratique qui est contraire à la législation en vigueur. »
Un risque de tromper les musulmans
La société Gandolfi reçoit approximativement le même pourcentage de viande halal dans ses frigos « près de 20 % du bœuf et une grosse majorité pour l’agneau ». Et même s’il le voulait Tony Gandolfi ne pourrait retourner ces carcasses à l’expéditeur. « Cette viande a déjà traversé la Méditerranée, il est difficile de la renvoyer puisque nous risquerions de perdre un fournisseur de qualité. Donc nous vendons aux bouchers qui le souhaitent cette viande qui repart dans le circuit traditionnel. »
Pour Tony Gandolfi, manger de la viande halal ne pose pas de problème, mais il reconnaît que cela mériterait une meilleure traçabilité,« notamment pour les musulmans qui pourraient être trompés si des bouchers peu scrupuleux vendaient de la viande qui n’est pas halal. Je pense que c’est dans ce sens que la vigilance doit être accrue. »Pour les services de l’État, ce souci de la traçabilité et de l’étiquetage pour un produit halal ou non, n’est pas une priorité comme le développe Jean-Pierre Lilas, directeur régional de la Draaf (direction régionale de l’alimentation de l’agriculture et de la forêt.« Le souci de l’État dans ce domaine est de s’assurer que les bêtes sont abattues dans des conditions sanitaires décentes dans les abattoirs pour garantir la sécurité maximale du consommateur. C’est pour le moment la seule demande de la part du gouvernement et du ministère de l’Agriculture. La traçabilité pour l’acheteur de viande non musulman n’est pas la priorité. »
Le consommateur risque d’être encore longtemps dans le flou. Il dégustera chez lui, ou dans des restaurants de Bastia et d’Ajaccio, des entrecôtes halal. Mais halal ou pas, la viande reste de la viande dont le prix est toujours aussi élevé. Et ce n’est pas un étiquetage spécifique qui fera changer les choses.
Corse Matin