Les immenses inégalités dans l’accès à l’éducation, à la santé et au pouvoir économique en Afrique du Sud remettent en cause le modèle de cohésion de la “nation arc-en-ciel”, louée depuis 1994 pour sa faculté à faire vivre ensemble ses multiples communautés.
Après la chute de l’apartheid “en 1994, on s’est concentré sur la construction du pays, les gens ont été laissés de côté”, explique à l’AFP Futhi Mtoba, l’un des 3.000 participants à un sommet sur l’avenir de la société sud-africaine organisé cette semaine à Soweto, près de Johannesburg.
“Il est temps maintenant de se comprendre les uns les autres, de travailler sur ce qui nous divise et d’essayer de guérir ces divisions”, ajoute ce dirigeant patronal noir.
La commission Réconciliation et Vérité (TRC), mise sur pied de 1996 à 2001, pour solder les comptes de l’apartheid, s’est concentrée sur les violations des droits de l’homme. Les questions sociales n’y ont pas été abordées.
Creuset d’identités variées, l’Afrique du Sud post-apartheid reconnaît onze langues officielles et sa législation permet à chaque communauté, Africains, descendants de colons européens, d’immigrants juifs ou indiens, de vivre selon ses coutumes. Une unité dans la diversité qui lui vaut le surnom de “nation arc-en-ciel”.
Mais ce message fièrement adressé à un monde contemporain, qui cherche partout la solution pour faire cohabiter harmonieusement des gens différents, est terni aujourd’hui par un manque de cohésion sociale.
En dix-huit ans, si l’on regarde les différentes formes d’avantages économiques, la propriété d’une entreprise, cotée ou non, celle d’une maison, les niveaux de revenus ou l’accès aux postes de direction, les choses ont changé. Une classe moyenne noire a émergé.
“Préjugés raciaux”
Mais près de 20 millions de Sud-Africains noirs vivent dans une relative pauvreté et jusqu’à 2,5 millions dans une pauvreté absolue, selon l’institut pour les relations raciales (SAIRR).
En mai, il a suffi d’un tableau représentant le chef de l’Etat Jacob Zuma le sexe dénudé pour que le pays se déchire, entre tenants de la liberté d’expression et défenseurs de la dignité noire.
Certains n’hésitent plus à dire que les Blancs ne font pas leur part dans l’effort de réconciliation.
“L’histoire montre que le peuple noir est toujours celui qui est d’accord pour tendre la main et se réconcilier, et il continue de souffrir de préjugés raciaux”, affirme l’éditorialiste Andile Mgxitama, qui participait au sommet sur la cohésion sociale.
“Les Blancs se retirent dans leur petit confort”, relève-t-il, “Alors, comment les Noirs peuvent-ils résoudre tout seuls les questions du racisme et des inégalités économiques ?”
“La réconciliation est un processus qui implique les deux parties (…)”, lui a fait écho le président Zuma en ouverture du sommet.
“Nous avons progressé en institutionnalisant la citoyenneté pour tous depuis 1994, mais certains domaines restent source de divisions et de frustrations”, a ajouté le chef de l’Etat, qui a appelé à en finir avec des structures héritées de la colonisation et de l’apartheid. Et avec une économie concentrée entre les mains des “mâles blancs”, selon lui.
Un raccourci facile, selon Lucy Holborn, présidente de l’institut SAIRR.
D’une part, “les chiffres montrent que les disparités en Afrique du Sud se réduisent nettement”, dit-elle. D’autre part, l’ANC doit balayer devant sa porte et mesurer les limites des politiques mises en place depuis 1994.
La majorité accède à l’école mais l’éducation est de mauvaise qualité. Les aides sociales permettent une survie de base mais ne changent pas la donne pour une grande masse de gens.
La législation promeut les Noirs dans l’entreprise mais elle a eu pour effet indirect de pousser les Blancs à se faire entrepreneurs. (…)