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Dans un éditorial publié le 13 juillet 2012, Laurent Joffrin nous éclaire de sa profonde pensée sur la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois. Celle-ci constituerait « le cimetière des illusions idéologiques françaises », mettant à mal « les idées reçues sur le libre-échange et la mondialisation ». Des idées à ce point reçues que celui qui prétend en faire la critique en a été, au sein des grands médias, et en particulier de la presse dite de gauche (Libération, Le Nouvel Observateur), l’un des zélateurs les plus assidus depuis les années 1980 [1]. Avant de rappeler ce rôle que Laurent Joffrin a assumé avec tout l’aplomb du converti, et ce durant pas moins de trois décennies, revenons sur son analyse de la fermeture de l’usine d’Aulnay.

De même pour l’intervention de l’État, qui ne se justifierait qu’en tant qu’aide ponctuelle, accordée sans aucune contrepartie. Pas question, donc, pour Joffrin, que l’État demande des comptes aux actionnaires de PSA quant aux aides déjà reçues (ne serait-ce que la « prime à la casse » et le « bonus écologique », qui ont coûté près de 2,2 milliards d’euros à l’État) : « L’État doit évidemment apporter son aide à PSA si nécessaire et déployer tous ses efforts pour limiter le choc social infligé aux ouvriers de l’automobile. Mais ce n’est pas lui qui peut ramener chez PSA les clients qui ont préféré d’autres marques. »

Précisons-le d’emblée, Laurent Joffrin a évidemment le droit de penser (et d’écrire) ce qu’il pense… même quand ses pensées sont à géométrie variable. Mais ce qui importe ici, c’est la place qu’il occupe dans le champ médiatique et les fonctions qu’il y remplit.

Si le directeur du Nouvel Observateur n’a pas de mots assez forts pour qualifier l’événement (« cataclysme social », « drame national », « cruauté sociale rare »), c’est pour mieux évacuer par avance toute solution qui consisterait dans le maintien du site et des emplois.

En effet, la compassion paternaliste dont il fait montre à l’égard des ouvriers de PSA, qualifiés de « salariés méritants » (faut-il comprendre que les fermetures d’usine seraient justifiées dans le cas de salariés n’ayant pas mérité l’éloge de Joffrin ?), n’a d’égal que l’art de la tartuferie, dont celui-ci s’est rendu maître au fil d’un périple qui l’a mené, après de multiples aller-retour entre Libération et Le Nouvel Observateur, jusqu’au statut de principal éditocrate « de gauche » du paysage médiatique français.

Ainsi voit-on Joffrin vitupérer contre « les libéraux qui peuplent les élites françaises », dont il prend soin de se distancier, lui qui fut pourtant membre du club Le Siècle (qui réunit les milieux dirigeants français) et, comme il s’en vanta, l’un des principaux « instruments de la victoire du capitalisme dans la gauche » (France 2, 2 juin 1993) [2]. Ces libéraux seraient donc coupables, selon lui, de répandre un « éloge talibanesque des bienfaits de la concurrence et du libre-échange ».

La fermeture de l’usine PSA est donc l’occasion pour Joffrin de proposer une (apparence de) critique de ce discours libéral, et particulièrement de « l’ouverture des frontières dont on chante sans cesse les vertus ». Mais là encore, qui fut de ceux qui chantèrent partout et sur tous les tons les louanges de l’Union européenne, de la libéralisation des mouvements de capitaux qu’elle organise, et de la concurrence qu’elle renforce entre travailleurs de tous les pays ? Joffrin, précisément [3].

Joffrin en profite au passage pour déculpabiliser les patrons de PSA, puisque les véritables responsables de la fermeture de l’usine d’Aulnay seraient… « les voitures coréennes qui ont conquis sur le vieux continent des parts de marché appréciables au détriment des producteurs nationaux ». Et aux « plus radicaux », qui « proposent peu ou prou l’interdiction des licenciements et demandent le maintien du site », notre tartufe oppose la nécessité de « limiter la surcapacité de production [de PSA] qui plombe ses comptes ».

La boucle est donc bouclée : si Joffrin fait mine de s’indigner de la fermeture d’usine, c’est pour mieux reprendre à son compte la rhétorique des patrons de PSA, invoquant pertes et surcapacité pour justifier leur volonté de sacrifier plusieurs milliers de salariés sur l’autel du profit. Cette fermeture serait d’autant plus inévitable que, si l’on ne s’y résout pas, « c’est toute l’entreprise qui se retrouvera en danger, avec à la clé plusieurs dizaines de milliers d’emplois ».

Notes :

[1] Voir notamment l’article que lui a consacré Fakir, « Laurent Joffrin, l’idiot utile du capital », dont sont tirés plusieurs des citations utilisées plus bas.

[2] Joffrin expliqua ainsi son rôle à Libération : « Le service économique était stratégique car on injectait du libéralisme. Nous étions l’aile moderniste, “tapiste” disaient les méchants… On trouvait que Serge July n’allait pas assez vite, mais c’était utile pour lui d’avoir une droite » (cité par Yves Roucaute, Splendeurs et misères des journalistes, Paris, Calmann-Lévy, 1991, p. 187). Sur la transformation de Libération en organe du néolibéralisme « de gauche », voir : P. Rimbert, Libération, de Sartre à Rothschild, Raisons d’agir, 2005.

[3] Qu’on en juge par l’attitude qui fut la sienne lors de la campagne référendaire de 2005 à propos du traité constitutionnel européen.

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