La hausse des prix des céréales, sous l’effet de la sécheresse aux États-Unis et en Russie, se répercute sur la chaîne alimentaire. La convergence d’éléments défavorables laisse présager de nouvelles crises alimentaires.
A Bombay, en mai 2012
En révélant une hausse de 6% de l’indice des cours des produits alimentaires en juillet, la FAO, organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, a sonné l’alarme. Et si le scénario qui avait poussé aux émeutes de la faim en 2008 et 2010 se reproduisait, si les niveaux de prix des matières premières agricoles devaient revenir aux pics du début 2011?
A l’époque, Bruno Le Maire, en tant que ministre de l’Agriculture, avait averti:
«Attention à la colère populaire au cas où certains spéculeraient sur la faim dans le monde. (…)
Une régulation financière est nécessaire pour ne pas revivre sur l’agriculture ce qu’on a connu dans l’immobilier ».
La France présidant alors le G20, le ministre comptait bien que les pays les plus riches du monde prendraient des mesures pour éviter les famines.
Mais refusant l’installation de stocks tampons régionaux (la proposition a été rejetée par des pays hostiles à toute idée de régulation), le G20 décida seulement de mettre en place un système de supervision des marchés et un forum de réaction rapide. C’est précisément ce forum que l’actuel ministre français de l’Agriculture Stéphane Le Foll et ses homologues américain et mexicain, également impliqués dans ce dossier, pourraient décider de réunir si la situation devait s’aggraver. Et pourquoi pas tout de suite?
Tous les produits alimentaires ne sont pas touchés
C’est que même si la situation est tendue, elle n’est pas pour l’instant d’un niveau aussi critique que début 2011, après les accidents climatiques de 2010. La sécheresse qui sévit aux États-Unis (la plus sévère depuis un demi-siècle) et en Russie a certes fait flamber le cours des céréales de 17% en seulement un mois, et les fortes pluies au Brésil ont relancé à la hausse celui du sucre de 12%. Mais à ce stade, les cours du riz, à la base de la nourriture dans de nombreux pays, n’ont pas bougé, ni ceux de la viande et des produits laitiers.
La FAO tient d’ailleurs à le souligner: même s’il a augmenté en juillet, l’indice des cours internationaux de son panier alimentaire de référence est encore 12% plus bas que le pic atteint en février 2011.
Malgré tout, pour les seules céréales, la zone rouge est atteinte: les cours aujourd’hui ne sont plus que 5% en dessous de leurs niveaux de 2008, juste avant les émeutes de la faim. Et les répercussions ne sauraient tarder sur les prix de la viande et des produits laitiers, et ceux de la farine avec l’incidence immédiate sur le pain…
Tout le monde, toutefois, ne s’en plaint pas: en France, les céréaliers sont sûrs d’exporter la moitié de leur production (36 millions de tonnes, en hausse de 8%) sur les marchés internationaux à des prix particulièrement élevés.
Les prémices d’une crise alimentaire
Ainsi, une nouvelle crise alimentaire se profile de façon quasi irrémédiable. Car même si des stocks ont pu être reconstitués l’année dernière dans les matières premières alimentaires de base, la dégradation des conditions de marché va être amplifiée par la spéculation, d’autant plus aux aguets que la nervosité n’est jamais totalement retombée depuis la crise de 2010. Pourquoi?
D’abord, à cause au réchauffement climatique qui, en creusant les amplitudes et en accentuant les effets des dérèglements, augmentent les risques sur les récoltes. L’effondrement des rendements en Russie, deux ans après les redoutables conséquences des incendies aux États-Unis, de la précédente sécheresse en Russie et des inondations en Australie, vont renforcer durablement ces tensions.
Ensuite, à cause des besoins de plus en plus importants, à l’image de ceux de la Chine devenue, avec 1,4 milliard d’habitants, le marché directeur pour tout ce qui concerne les matières premières, notamment les denrées alimentaires. Exportateur de produits agricoles jusqu’en 2002, le pays est maintenant importateur net, tant pour le maïs que pour le blé dont il a pourtant multiplié la production par huit en un demi-siècle.
Enfin, parce que la mobilisation internationale n’a pas encore fait la preuve de son efficacité comme le prouve la recrudescence de la malnutrition dans le monde sous l’effet notamment de tensions géopolitiques, à l’image de la famine qui ravagea la Somalie en 2011 ou de ce que vivent aujourd’hui les populations du Sahel confrontées à une troisième catastrophe alimentaire en dix ans, souligne l’économiste Philippe Chalmin.
Ajoutons à cela une convergence des problèmes sur le maïs et le blé, sans qu’une de ces deux céréales puisse compenser l’autre: pour certains opérateurs plus pessimistes que la FAO, il est temps de tirer la sonnette d’alarme.
Le blé
En juillet, son cours international a affiché l’une des plus fortes augmentations: 19% en un mois. En Russie, les rendements ne sont que 10% de leurs niveaux dans certaines régions et la chute de la production correspondra cette année aux volumes normalement exportés par ce pays. Ce qui va énormément peser sur les cours. L’Ukraine est également touchée. On mesure mieux les conséquences de cette situation lorsqu’on sait que la Russie assure normalement à elle seule le quart des exportations mondiales de blé.
Si Moscou devait décider d’un embargo sur les exportations comme il y a deux ans, l’explosion des cours serait certaine. Le principe en a toutefois été combattu lors du G20 en 2011, et aucune décision dans ce sens n’a pour l’instant été prise.
Le maïs
A cause de la sécheresse, les États-Unis ont perdu le sixième de leur récolte en un mois. Les stocks ont été ramenés à un niveau historiquement bas selon le département de l’Agriculture américain. L’augmentation du cours international a atteint en juillet 23% en un mois, et la tendance demeure à la hausse.
Outre-Atlantique, le rationnement ne peut plus être évité et les observateurs considèrent que les prix vont encore augmenter pour pousser à ce rationnement. Or, les ventes à l’international des États-Unis représentant la moitié des exportations mondiales de maïs, cette situation aura forcément de graves répercussions sur les marchés les moins solvables.
Heureusement, le prix du riz reste stable grâce aux stocks abondants qui ont été constitués. Et malgré des perspectives de récolte en baisse en Inde, la production mondiale en 2012 devrait être légèrement supérieure à celle de 2011, et supérieure aussi à la consommation mondiale annuelle. Ce qui devrait permettre de contenir le prix du riz sur les marchés internationaux.
Le colza
Ses cours ont également augmenté, de 15% en juillet par rapport à juin et de près d’un quart en un an. Pourtant, selon la FAO, il existe aujourd’hui d’importantes réserves d’huile de palme, de tournesol et de colza, ce qui devrait éviter tout dérapage. Mais ce sont les tensions sur le marché du soja qui se répercutent sur celui du colza.
Le sucre
Alors que le cours avait baissé de 15% depuis le début de l’année, il a rebondi en juillet, prenant près de 12% en un mois. Toutefois, la tendance est repartie à la baisse sans qu’on puisse prédire l’apaisement sur les marchés à cause des mauvaises récoltes du premier exportateur mondial, le Brésil.
Les répercussions en France sur les prix de la viande
On soulignera aussi, pour ce qui concerne plus particulièrement la France, le cas des fruits et légumes qui, selon l’Insee, ont vu leurs prix augmenter de 13% sur un an en juin dernier, à cause du mauvais temps et de gelées tardives. Les légumes frais ont été les plus touchés par les hausses de prix qui atteignent en moyenne 18,5% sur un an.
La hausse des cours internationaux des céréales s’est répercutée dans l’Hexagone, à cause de la part du maïs dans l’alimentation des volailles et des bovins, avec un doublement de la hausse du prix des œufs sur un an (il aurait tendance aujourd’hui à se stabiliser) et une augmentation de plus de 20% du prix de la viande bovine. Heureusement, les prix du mouton et des pommes de terre ont reculé!
Slate