José Manuel Barroso souhaite une transformation de l’Union européenne en “Fédération d’Etats-nations”. Mais que se cache-t-il derrière cette juxtaposition de notions a priori antinomiques, l’Etat et la nation. Est-ce seulement un cache-sexe sémantique pour les souverainistes de tous bords?
Pour le président de la Commission, l’Union européenne doit devenir une “fédération d’Etats-nations “. L’idée n’est pas nouvelle. Dans les années 90, Jacques Delors, son prédécesseur à la tête de l’exécutif européen, avait préconisé pour cette étonnante configuration institutionnelle.
“Nous devons progresser vers une fédération d’Etats-nations. C’est notre horizon politique “. A affirmé José Manuel Barroso lors de son discours sur “l’état de l’Union” au Parlement européen. Pourquoi maintenant? Parce “qu’en ces temps d’anxiété, ce serait une erreur que de laisser les nations en proie au nationalisme et au populisme”. Mais surtout, “une véritable union économique et monétaire en profondeur peut être engagée dans le cadre des traités actuels, mais ne pourra être menée à bien qu’avec un nouveau traité”.
“Une fédéralisation de l’Europe est nécessaire “, s’est félicité Daniel Cohn-Bendit, chef de file des Verts européens. “J’ai sous-estimé le fanatisme de M. Barroso “, lui a répondu, sans surprise, le chef de file des eurosceptiques, le Britannique Nigel Farage. Mais au-delà de ces réactions convenues, que signifie cette “fédération d’Etats-nations“?
Faiblesses institutionnelles
L’Union européenne étant déjà, selon l’expression consacrée, un “ovni institutionnel “, elle peut se permettre de tout inventer, même cette “fédération d’Etats-nations “! Elle a déjà un exécutif, la Commission, dont le talon d’Achille est le manque de légitimité démocratique. José Manuel Barroso et ses “ministres “, les commissaires, étant nommés par les gouvernements.
Elle a son Conseil européen, conclave des chefs d’Etats et gouvernement qui fixent le cap politique de l’Union tous les semestres. Elle a ses Conseils de ministres qui décident des politiques communes. Elle a enfin un Parlement européen qui est mal élu, du fait, notamment, de l’absence de mode de scrutin unique et d’un faible taux de participation chronique aux élections européennes… Toutes ces faiblesses institutionnelles de l’Europe, mises en avant par les souverainistes ou, à l’inverse, les hérauts de l’intégration européenne, sont bien connues.
Une “fédération d’Etats nations “, ça n’existe pas
La solution pour mettre fin à ce déficit démocratique le l’UE serait donc de la transformer en “fédération d’Etats nations “? Le concept semble, de prime abord, séduisant.
Une fédération d’Etats est un attelage institutionnel qui a fait ses preuves, en Europe comme ailleurs. La République fédérale d’Allemagne, les Etats-Unis d’Amérique… sont des pays réunissant des Etats (ou Lander) avec un pouvoir national central et des pouvoirs spécifiques dévolus aux Etats fédérés. La Californie ne peut pas décider de l’envoi de troupes en Afghanistan, mais elle autorise le mariage gay.
Mais une “fédération d’Etats nations “, ça n’existe pas, du moins pas encore. L’attelage semble, cette fois, bien bancal.
Première certitude, ce passage au fédéralisme “national-étatique” nécessite cette fois, comme le souligne José Manuel Barroso, un nouveau traité, et non pas un simple replâtrage institutionnel du Traité de Maastricht. Un Etat fédéral nécessitant un exécutif central avec des pouvoirs supraétatiques ou, si on préfère, en l’occurrence, supranationaux. Pouvoirs qui font aujourd’hui défaut à la Commission européenne.
Et ce n’est pas gagné d’avance. La Cour constitutionnelle allemande a validé aujourd’hui le futur fonds de secours des pays de la zone euro (MES), en estimant que la souveraineté budgétaire de la République fédérale n’était pas remise en cause, mais qu’en sera-t-il quand il s’agira, d’accepter que Bruxelles puisse imposer ses lois? La frilosité du gouvernement français, celui d’hier comme celui d’aujourd’hui, préfigure de multiples blocages institutionnels, politiques, et même culturels, vis-à-vis de l’Europe, tant à Paris qu’à Berlin. La route s’annonce très longue d’autant qu’il est aujourd’hui bien difficile de savoir où elle va.
Il y a quelque chose qui cloche
Car, il y a quand même quelque chose qui cloche dans cette juxtaposition des ces deux notions d’Etat et de nation. L’Etat est une institution souveraine. Il a une administration qui le fait fonctionner, un Trésor (public), un bras armé (l’armée), des forces de l’ordre (la police). Il a un chef qui a plus ou moins de pouvoirs selon les pays.
A l’inverse la nation est une notion identitaire beaucoup plus floue. Elle repose sur le sentiment d’appartenance à un même ensemble délimité géographiquement par des frontières. Dans certains pays la nation a préexisté à l’Etat, dans d’autres c’est l’inverse. Ainsi, la nation n’a fondamentalement pas le même sens en France et en Allemagne. Et peut-on même parler de nation luxembourgeoise ou monégaste…
Alors pourquoi préconiser ce fédéralisme “national-étatique” comme solution à la crise identitaire de l’Union européenne? N’est ce pas finalement qu’un cache-sexe sémantique pour ne pas effaroucher les souverainistes de tous bords. Le président de la Commission étant convaincu que l’Europe sera fédérale ou ne sera plus.