Pour la première fois, les députés européens seront invités à voter la réforme de la Politique agricole commune (PAC) : un budget de 56 milliards d’euros destiné à soutenir l’agriculture européenne. Mais quelle agriculture ? Celle qui crée ou détruit des emplois ? Celle qui évite les pollutions ou les encourage ? Celle qui freine la spéculation ou l’aggrave ? Celle qui rémunère correctement les producteurs ou qui favorise les gaspillages ? Les citoyens ont cette fois aussi leur mot à dire, alors qu’une « Good Food March » arrive à Bruxelles.
Le Parlement européen s’apprête, pour la première fois, à voter la réforme de la Politique agricole commune (PAC). Un privilège réservé jusque-là au Conseil des ministres de l’agriculture (qui rassemble les ministères de 27 États membres) [1]. Les négociations entre Commission de Bruxelles, Parlement de Strasbourg et les ministères de l’agriculture ont commencé et se concluront en janvier 2013 par une nouvelle politique agricole.
Celle-ci aura des impacts sur l’emploi, sur l’environnement, sur les zones rurales et sur notre alimentation à tous. « Réclamer une alimentation de qualité, des produits frais, bios, de saison, en échange d’une bonne rémunération, ce n’est pas un caprice de bourgeois bohème », assène l’ingénieur agronome Marc Dufumier, membre de la Fondation Nicolas Hulot. Les choix alimentaires ont engendré de plus en plus de problèmes liés à l’obésité, aux cancers, aux maladies neurodégénératives, aux troubles de la fertilité ».
Financer les pratiques moins polluantes ? Pas compétitif…
En organisant une « Good Food March » (Marche pour une bonne alimentation), 80 organisations paysannes et environnementales, de 15 pays européens, comptent bien peser sur le contenu de la réforme. Des caravanes parties de Munich, de Rotterdam, du Pays basque et de Calais, convergent sur Bruxelles. Elles y arriveront le 19 septembre pour faire valoir leurs doléances et les soumettre au Parlement européen. Une urgence alors que « les premiers échos des négociations ne sont pas bons », s’inquiète Aurélie Trouvé de l’association altermondialiste Attac France.
La Commission européenne propose de réserver 30 % des aides directes au financement de pratiques bénéfiques à l’environnement et au climat, comme éviter la monoculture ou développer la biodiversité sur sa ferme. Un « verdissement des aides » qui ne plaît pas à tout le monde. L’orientation des financements vers des pratiques moins polluantes pourrait entraver la « compétitivité des filières pour répondre au défi alimentaire de ce 21ème siècle », estime la FNSEA par la voix de son président Xavier Beulin.
Les conclusions du syndicat majoritaire sont bien éloignées de celles d’Olivier de Schutter, rapporteur spécial pour l’alimentation à l’Onu : « L’agriculture écologique permettrait de doubler la production alimentaire en 10 ans » [2]. Si les ressources de la planète peuvent nourrir 12 milliards d’humains, la spéculation et la mainmise des multinationales sur les matières premières créent une pénurie, rappelle par ailleurs Jean Ziegler dans un entretien à Basta !. La réforme de la PAC, telle qu’elle se dessine, risque de les aggraver.
Plus on est gros, plus on touche
Le budget total de la PAC s’élève à 56 milliards d’euros, soit 40 % du budget de l’Union européenne. La France en est le premier bénéficiaire, le secteur agricole percevant environ 10 milliards d’euros d’aides par an [3]. Une petite partie de ces agriculteurs, 10,7 %, ont reçu plus de 50 000 euros, soit 40 % des aides, alors qu’un tiers des agriculteurs ont perçu moins de 5 000 euros (soit 2,4 % des aides). Les entreprises agroalimentaires ramassent la mise. La coopérative sucrière Tereos est la plus grosse bénéficiaire de subventions de la PAC, avec 178 millions d’euros perçus en 2011, suivi par Saint Louis Sucre (144 millions d’euros) et… le volailler Doux (56 millions d’euros).
Les disparités sont également importantes entre les différents pays de l’UE. Les montants accordés aux agriculteurs européens varient du simple au quintuple. Aussi un paysan letton reçoit une aide de 100 euros à l’hectare, contre 500 euros pour un producteur grec. En France, la moyenne est de 370 euros, avec de fortes variations selon les régions. Pour un hectare de blé tendre, un céréalier picard perçoit 420 euros, contre 260 dans l’Hérault.
Une politique agricole destructrice d’emplois ?
Les organisations à l’initiative de la Good Food March réclament un plafonnement et une modulation des aides. Pour elles, il s’agit de freiner l’agrandissement et l’industrialisation des exploitations, et permettre une meilleure répartition des crédits agricoles en faveur des petites et moyennes structures.
Car les agriculteurs bénéficient depuis 2003 d’« aides à l’hectare ». Le montant est déterminé par la surface de l’exploitation. On parle à ce titre de « découplage des aides » puisque le montant de la subvention perçue est indépendant de la production. Résultat : plus on possède une grosse surface, plus on touche d’argent [4]. Ces aides à l’hectare sont censées éviter la surproduction et la chute des cours qui en découle.
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50% de la nourriture à la poubelle
Aujourd’hui, la dérégulation des marchés intérieurs ne permet plus aucune stabilité des prix. Ce qui met évidemment en difficulté les producteurs. Mais aussi les consommateurs. « Les prix à la production n’ont pas suivi le niveau des prix à la consommation, avec une captation de plus en plus forte des marges par la grande distribution », explique Aurélie Trouvé. La cerise bigarreau est par exemple facturée jusqu’à 5 fois plus cher au consommateur qu’elle n’a été payée par le distributeur [8]. Sur 1kg de porc, le producteur ne percevra plus que 36% du prix de vente aux consommateurs, contre 55% pour la grande distribution ! Encore faut-il ajouter le coût écologique comme la dépollution de l’eau par exemple, que les consommateurs payent en tant que contribuables.
La politique agricole actuelle encourage toujours plus de productions, alors même qu’en Europe des montagnes d’aliments sont gaspillés. Près de 50 % de la nourriture comestible et saine passerait ainsi à la poubelle chaque année [9]. 42 % du gaspillage proviendrait des ménages contre 39 % de l’industrie agroalimentaire, indique une étude de la Commission européenne.
Notes :
[1] Seul le Conseil des ministres de l’agriculture était doté du pouvoir de décision en matière agricole. Mais selon les règles de co-décision contenues dans le Traité de Lisbonne, le Parlement européen va être amené à voter sur cette réforme.
[2] Lire le communiqué du centre d’actualités de l’ONU du 8 mars 2011.
[3] La France reçoit 19,2 % de l’ensemble des crédits, devant l’Espagne (13,6 %), l’Allemagne (12,7 %), l’Italie (10,4 %) et le Royaume-Uni (7,3 %).
[4] Le découplage des aides directes à l’agriculture s’est traduit par la création de droits à paiement unique (DPU) dont le nombre et la valeur sont propres à chaque exploitation. Mais pour percevoir la somme correspondant à ses DPU, l’exploitant doit, au moins tous les deux ans, produire ou entretenir, même en jachère, des surfaces agricoles, sous peine de subir la réduction du montant de ses DPU. Source
[8] Selon le rapport 2011 de l’Observatoire des prix et des marges alimentaires
[9] Selon l’Ademe et le Parlement européen : source