Pour Philippe Braud, spécialiste de sociologie politique, il ne doit pas y avoir de «droit au blasphème». Il explique pourquoi il s’agit selon lui «d’une forme de puérilité et d’ignorance de l’Autre».
Aujourd’hui avec la circulation universelle des idées et des informations, une retenue de type nouveau s’impose dans l’expression publique des humeurs.
À en croire certains propos tenus ces jours-ci la liberté d’expression ne saurait être soumise à la moindre limite. Un droit inaliénable et sacré, absolument intangible ; mieux encore, un dogme sur lequel veillent de sourcilleux ayatollahs qui surenchérissent avec une belle emphase sur ses implications. À quand l’inscription du droit au blasphème dans une Déclaration universelle des Droits de l’Homme, aux côtés sans doute du droit à l’expression de propos homophobes, négationnistes, racistes. […]
La liberté d’expression peut faire mal, et même très mal ; infliger des souffrances inouïes, humilier, salir. Même les ayatollahs occidentaux le comprennent parfaitement quand il s’agit de protéger le droit à la dignité des femmes modernes, celui des homosexuels ou des handicapés ; on l’admet aussi, sauf les amis de Jean-Marie Le Pen, quand il s’agit de prohiber l’expression de propos négationnistes qui insultent la mémoire des victimes de l’Holocauste. On l’admet encore pour protéger le droit à l’intimité de personnes qui peuvent être ravagées durablement par la propagation de rumeurs, fondées ou infondées, sur leur vie privée.
Mais qu’importe quand il s’agit de populations que l’on méprise sourdement, ou dont on ignore superbement les croyances ! […]
Sans ce film stupide “L’innocence de l’Islam”, l’ambassadeur américain en Libye serait encore en vie. Et lui au moins avait prouvé qu’il était capable d’un dialogue approfondi avec le monde arabe et musulman, ce qui n’est certes pas le cas des journalistes de “Charlie Hebdo”.[…]
La liberté d’expression ne doit pas avoir de limite quand il s’agit d’avancer des thèses rationnelles, notamment d’ordre scientifique. En revanche elle sera renforcée par la prohibition de propos gratuitement et gravement inspirés par la haine ou le mépris.
Le Nouvel Obs