Olivier Roy, politologue et spécialiste de l’Islam, analyse la crise provoquée par les extraits du film «L’innocence des Musulmans» et la publication des caricatures de Mahomet dans Charlie Hebdo.
Des croyants expriment le sentiment d’être discriminés et parlent de leur souffrance, ce qui est tout à fait nouveau. Ils ne parlent pas de vengeance, ni de contre attaque mais dénoncent les insultes, le mépris. C’est le sentiment dominant chez les Français musulmans.
Le blasphème est-il utilisé, par certains, comme un levier politique ou est-ce qu’il requiert un sens particulier dans le monde musulman ?
On observe une dissociation croissante entre les niveaux religieux et politique. On a d’une part la récupération politique – violences contre les ambassades américaines – et de l’autre, ce que j’appelle la «souffrance» religieuse». […]
Les jeunes supposés salafistes devant l’ambassade américaine manifestaient sur le même modèle que les catholiques intégristes de l’Institut Civitas, devant le théâtre de la Ville, à Paris, en 2011 : on exhibe, on met en avant son appartenance religieuse, par des prières dans la rue, on exprime son indignation. Ils utilisent un registre de la victimisation, réclament leur réhabilitation et une protection du sacré. Derrière, il n’y a pas de stratégie politique, ni de contestation d’un pays ou de prise de pouvoir. […]
Dans le droit français, la notion de blasphème n’existe pas. Mais comment composer entre laïcité, liberté d’expression et ce qui peut être vécu comme une atteinte au sacré ?
La question qui se pose est celle de la cohabitation. On est actuellement dans une laïcité, de plus en plus crispée, qui se définit comme antireligieuse. Ce n’est pas du tout l’esprit de la loi 1905 qui organise l’exercice du culte dans l’espace public. Elle ne rejette pas le culte dans le privé, il s’agit d’une loi de compromis. […]
On est maintenant sur deux registres totalement différents : la laïcité se présente comme une alternative à la religion et pas du tout comme un système de vivre ensemble. Les communautés de foi, devenues minoritaires, se sentent assiégées et importunées par une société totalement sécularisée. Notre sécularisme apparaît comme une sorte d’idéologie antireligieuse. Musulmans, catholiques, juifs, évangélistes américains se plaignent de la même chose. Bien sûr, les réponses sont différentes mais le sentiment d’une attaque délibérée contre le sacré est répandu dans les trois grands courants monothéistes. Il faut repenser le rapport entre laïcité et religion, comme un rapport d’inclusion et pas d’exclusion.
Respect Mag