“Tandis que le Nord transfère de l’argent public de façon massive vers le Sud pour garantir les dettes des pays du Sud, l’épargne du Sud va, elle, se réfugier au Nord.”
“L’Union monétaire est rompue malgré la survivance de son instrument de transaction : l’Euro.” Jean-Luc Gréau – Xerfi Canal
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L’euro, c’est fini ! L’Union monétaire a déjà éclaté de facto.
INVRAISEMBLABLE, mais vrai : il se trouve encore des économistes pour annoncer à l’Europe des lendemains qui chantent. Le Vieux Continent, nous disent-ils, ne tardera pas à retrouver sa vigueur et sa prospérité, tenant enfin les promesses de l’Agenda de Lisbonne de 2000, aux termes duquel l’Europe devait être en 2010 la région exemplaire pour le reste du monde par sa prospérité, son taux d’éducation, sa capacité d’innovation.
[…] Cependant, cet optimisme de rigueur dans le cénacle libéral n’a pas encore contaminé la direction de la Banque centrale de Francfort. L’un de ses membres, Jörg Asmussen, a énoncé les termes du dilemme qui étreint les dirigeants de la BCE : « Les marchés font le pari de la désintégration de la zone. Un tel risque systémique est dramatique et, pour la Banque centrale européenne, inacceptable. » Plus clairement encore,
la BCE n’a guère le choix : soit elle inaugure une politique de rachat massif des dettes publiques des pays en détresse, en contradiction violente avec ses statuts et en opposition à la volonté du pays le plus puissant de la zone, soit elle laisse éclater la zone monétaire placée sous sa juridiction.
[…]
Le deuxième élément, plus discret, tient au fait que les nouveaux emprunts émis pour financer les dettes souveraines ne sont plus souscrits que par les banques du pays concerné, espagnoles, portugaises, italiennes (mais aussi françaises). Cette « renationalisation » des dettes publiques est involontaire. Elle s’explique par le fait que les banques entendent bien échapper aux imbroglios des finances publiques des autres États que les leurs, tout en faisant le pari que leurs Trésors publics respectifs (encore financés par leurs soins avec l’argent récolté au préalable aux guichets de la Banque de Francfort) resteront solvables, au prix d’ajustements drastiques des politiques budgétaires.
Toutefois, la rupture de facto de l’Union monétaire est encore mieux illustrée encore par deux autres facteurs dont les médias ne rendent pas compte, ou si peu.
[…]
De ce point de vue, deux grands pays concentrent l’attention : l’Italie et l’Espagne.
Dans le premier, les banques sont, pour l’essentiel, victimes de la récession. La production italienne est aujourd’hui inférieure de quelque 8% à celle du premier trimestre 2008. Et elle baisse toujours, en dépit – ou à cause – des efforts du capitaine du navire, Mario Monti, ancien commissaire européen, ancien conseiller de Goldman Sachs et président de l’université Bocconi de Milan, qui est à la doctrine néolibérale ce que l’École des cadres du Parti communiste était à la doctrine marxiste-léniniste. La récession mine les comptes d’un État qui était déjà l’un des plus endettés d’Europe à la veille de la crise économique. Elle porte atteinte, par un effet collatéral, au crédit des banques italiennes. Comme les Italiens ne voient pas d’issue à l’impasse économique et financière transalpine, ils sont de plus en plus nombreux à redouter une cessation de paiement de leurs banques.
Toutefois, c’est l’Espagne qui est affectée par le mouvement le plus massif de « décollecte », pour employer le jargon consacré. Les chiffres sont tombés le 29 août : durant le seul mois de juin, 54 milliards d’euros ont été retirés par les déposants, ce qui représente une hausse de 40% par rapport au mois de mai, marqué par la faillite retentissante de Bankia. Au total, selon la Banque d’Espagne, ce sont 220 milliards d’euros qui ont disparu des comptes des banques locales durant le premier semestre 2012 − 220 milliards d’euros, soit le cinquième de la valeur du PIB espagnol.
[…]
Pour couronner la détresse des pays dits du Sud, voilà qu’on apprend que les banques françaises et allemandes s’en retirent. Engagées respectivement pour près de 500 milliards et près de 250 milliards d’euros de prêts aux secteurs publics et privés grecs, chypriotes, italiens, espagnols et portugais, elles ont décidé de ne plus octroyer de prêts nouveaux. Leur espoir est toutefois de ne pas subir de pertes trop lourdes sur les prêts déjà consentis. Toute personne sensée comprendra intuitivement qu’elles contribuent ainsi à la spirale récessive qui affecte les pays méridionaux. Entre les difficultés ou la faillite des banques locales et le repli stratégique des banques françaises et allemandes, nos voisins du Sud n’ont guère d’illusions à se faire sur un retour prochain à la prospérité.
Combien de temps encore l’euro survivra-t-il à la rupture de la zone monétaire ?