Pourquoi cette affaire d’investissement du Qatar dans les banlieues françaises est-elle, en l’état actuel des choses, si problématique ?
Pas parce que c’est le Qatar, bien sûr.
Ni, encore moins, un pays arabe dont les fonds seraient, par nature, moins bienvenus que d’autres.
Et d’ailleurs, que ce pays arabe décide aujourd’hui d’investir dans les quartiers en difficulté et non plus seulement dans l’achat de palaces, d’hôtels particuliers, de joueurs de foot ou de chevaux de course est même, en soi, une bonne nouvelle.
Non.
Ce qui est choquant, c’est la somme, d’abord. Car, si les chiffres annoncés sont exacts, l’émirat destine à l’ensemble des banlieues françaises une dotation (100 millions d’euros) qui doit approximativement correspondre au prix d’un ou deux des hôtels particuliers qu’il a acquis depuis dix ans, ou d’un demi-immeuble Virgin des Champs-Elysées, ou de quelques pour-cent de sa participation au capital du seul pétrolier Total. C’est une aumône pour les intéressés. C’est une humiliation pour le pays récipiendaire, qui apparaît comme sans le sou, réduit à faire la manche. Et c’est une goutte d’eau, surtout, dans l’océan des besoins de « territoires perdus » dont la reconquête suppose, non pas 100, ni 200, ni 1 000, mais bien des milliers de millions d’euros, une manne, un plan Marshall, l’équivalent de ce qui a permis à l’Amérique de Truman, dans l’après-guerre, d’aider à la reconstruction de la France. Les 100 millions annoncés, autrement dit, ne sont pas un investissement. C’est un coup de bluff. Ou de pub. C’est l’achat comptant, et pour pas cher, d’un brevet de moralité par un pays, certes allié, mais dont l’attachement aux valeurs de la démocratie reste encore à démontrer.
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Bernard-Henri Lévy