Plus le temps passe, plus la crise avance dans la société espagnole, tissant sa toile de malheurs et étouffant des familles qui se croyaient jusque-là à l’abri. On a tendance à dire ici que “pas une famille n’est épargnée“. Tout le monde, près de soi, a un parent, un enfant, un oncle, un ami au chômage, voire sous le coup d’un ordre d’expulsion immobilière.
Depuis le début de la crise, près de 300 000 familles ont perdu leur logement, dans la plupart des cas saisi par la banque, puisque 83 % des Espagnols sont propriétaires. Mais toutes les expulsions ne reflètent pas la même réalité et selon une étude de l’Association des victimes d’embargos et de mises aux enchères (AFES), le profil des expulsés a beaucoup changé à mesure que se prolongeait la crise et augmentait le chômage de longue durée.
De plus en plus d’Espagnols et de chefs d’entreprises parmi les victimes d’expulsion immobilière
En 2009, 80 % des personnes concernées par les ordres d’expulsion étaient des familles d’origine étrangère, premières victimes de l’explosion de la bulle immobilière puisque beaucoup travaillaient dans la construction, et sans soutien familial en Espagne. En 2012, ils ne représentent plus que 40% des expulsions.
Les faillites des familles espagnoles sont passées de 15 % à 25 % du total et celles des chefs d’entreprises de 5 % à 15 %. Enfin, les expulsions de foyers qui s’étaient portés caution de la dette d’une tierce personne représentent 20 %.
La classe moyenne est aujourd’hui touchée profondément par la crise. Rien d’étonnant donc si le nombre de déclaration de faillites personnelles a décuplé en 4 ans, passant d’une centaine en 2007 à près d’un millier en 2011.
Dans son cabinet de Barcelone, Carlos Guerrero, avocat spécialisé dans les déclarations de cessation de paiement des personnes physiques, a vu exploser le nombre de consultations depuis le début de la crise, même si très peu aboutissent finalement à une procédure judiciaire. “Si la loi était plus favorable aux particuliers, il y aurait des dizaines de milliers de faillites personnelles chaque année”, soutient M. Guerrero. En Espagne, il n’existe pas de commission de surendettement. Le processus qui mène à la déclaration de faillite est un long chemin de croix qui use du temps et de l’argent pour un résultat incertain et “ne permet même pas de suspendre le remboursement des traites immobilières” souligne l’avocat, actuellement chargé du cas de F., qui refuse de dévoiler son nom.
En 2009, cet ancien directeur d’agence bancaire de 35 ans, père de trois enfants, a perdu son poste, victime des plans de restructuration destinés à amincir le secteur financier, lesquels signifient la fermeture de milliers d’agences pour réduire les coûts. Lui qui gagnait 63 000 euros par an, s’est retrouvé à ne percevoir que les indemnités de chômage, de 1 000 euros mensuels. Même en y ajoutant le salaire de sa femme, employée administrative mileurista (payée 1 000 euros par mois), le couple s’est retrouvé dans l’incapacité d’honorer son prêt immobilier, de 1 400 euros par mois. Et encore moins leur prêt auto et autres crédits à la consommation, dont le total s’élève à 1500 euros mensuels de plus.
“J’avais un niveau d’endettement qui correspondait à mon niveau de revenus”, résume F., tout en reconnaissant que “la banque a fait des excès dans la concession de crédit et nous aussi dans la contraction de prêts”.
“Je veux juste solder ma dette et repartir de zéro”
Au bout de six mois, F. a retrouvé un emploi dans une banque d’investissement, mais avec un salaire divisé par deux, et a décidé d’aller voir son banquier pour régulariser sa situation financière. “Je lui ai demandé de refinancer mon prêt pour abaisser le montant des traites et les adapter à ma nouvelle situation professionnelle, mais il m’a demandé de régulariser d’abord mes mensualités en retard”, raconte F.
Pour cela, le banquier a demandé un nouveau prêt auprès d’une des rares entités financières susceptibles d’accéder à sa demande. Mais le prix à payer était cher : 12 % de taux d’intérêt. Il complète donc ce nouveau crédit par un emprunt auprès de sa famille et celle de son épouse.
“Aujourd’hui, ma situation est identique, mais avec un prêt en plus”, regrette aujourd’hui F., car bien qu’il ait mis à jour ses comptes, la banque n’a finalement pas accepté de refinancer son prêt. Sans espoir de régler sa situation, harcelé par les banques, – “qui appellent ma mère de 70 ans pour lui dire que son fils ne paie pas ses dettes, mes collègues de travail, mes voisins”, raconte-t-il, – il a donc décidé d’entamer un processus de faillite personnelle. “Je demande juste une solution raisonnable pour que l’on puisse s’en sortir, pouvoir rendre mon logement pour solder ma dette et repartir de zéro”, plaide-t-il.
En Espagne, en cas d’impayés, la banque peut récupérer la demeure de ses clients pour 60 % de sa valeur et continuer de leur exiger la différence. Dans le cas de F., dont la valeur du logement a chuté de 350 000 euros en 2007 à 230 000 euros actuellement, s’il perd sa maison, il lui resterait encore près de 200 000 euros de dettes.
Véritable drame financier de l’Espagne, l’endettement privé (ménages et entreprises) représente près de 220 % du PIB selon la Banque d’Espagne. Plusieurs économistes estiment que l’Espagne devra à terme accepter des remises de dettes.