Difficile de traduire plus brutalement le mot de « compétitivité » dont, depuis des mois, se gargarisent ministres, responsables de l’opposition, chefs d’entreprises et grands médias (lire dans Le Monde diplomatique d’octobre, en vente en kiosques, l’article de Gilles Ardinat, « La compétitivité, un mythe en vogue »). A la fin d’un entretien réalisé à Washington et publié jeudi 4 octobre par Le Figaro, Mme Christine Lagarde, directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), se voit poser la question suivante : « Le FMI tente de faire baisser les prix à l’échelle de la zone euro pour compenser le fait qu’il [l’euro] ne puisse dévaluer. Est-ce réalisable ? »
En langage plus direct, le journaliste du Figaro, Pierre-Yves Dugua, suggère ceci : dès lors que la parité de l’euro ne dépend plus guère d’une décision des gouvernants européens (comme c’était le cas quand la monnaie d’un pays en situation de déficit commercial pouvait être dévaluée, et une autre, d’un pays en situation d’excédent commercial, réévaluée), la « compétitivité » européenne ne peut plus être rétablie par le biais du taux de change. Par conséquent, les Etats en quête de « compétitivité » doivent provoquer la baisse des prix de leurs exportations par un biais non monétaire. Et, par exemple, le faire en comprimant les coûts de leur production (salaires, profits, marges des distributeurs, etc.). « Est-ce réalisable ? », demandait donc assez justement le journaliste du Figaro.
La réponse de Mme Lagarde constitue une véritable leçon de libéralisme pur et dur. Oui, explique en substance la directrice générale du FMI, mais il faut baisser les salaires ; c’est d’ailleurs ce que font déjà les Grecs, les Espagnols et les Portugais.
Citons Mme Lagarde : « On l’espère, bien sûr [qu’il est réalisable de faire baisser les prix européens pour retrouver de la compétitivité]. Un des signes avant-coureurs du succès de cette approche est la reprise des exportations. En faisant baisser les prix des facteurs de production, en particulier le prix du facteur travail, on espère rendre le pays plus compétitif et plus intéressant pour les investisseurs étrangers. On le voit déjà un peu au Portugal, en Espagne, et on commence à le voir un peu en Grèce (1) »
Résumons : comme l’euro est une monnaie qu’on ne dévalue pas, la relance des exportations doit passer avant tout par la baisse des prix. Celle-ci découlera principalement de la baisse des salaires, pas de celle des profits, laquelle serait sans doute moins « intéressante pour les investisseurs étrangers ». Et l’exemple de cette stratégie que recommande le FMI est déjà donné par les pays d’Europe du Sud. Ceux-là même dont une partie de la population plonge dans la précarité, voire la misère, du fait des politiques d’austérité recommandées par Mme Lagarde.
Il y a peu, justement, le New York Times évoquait la situation de la Grèce. Et le quotidien américain insistait, presque surpris, sur le caractère intraitable du FMI, toujours demandeur de nouvelles baisses des salaires (et des pensions de retraite) à un gouvernement de droite, certes bien disposé à l’égard de l’institution financière et de la « troïka » (Union européenne, Banque centrale européenne et FMI), mais un peu las de tailler à la hache dans les salaires, les emplois et les budgets sociaux d’un peuple déjà très éprouvé.
« De nombreux Grecs parlent à présent de désordres civils quand le froid va s’installer et que beaucoup de gens ne pourront plus payer leur chauffage, indiquait le New York Times. Les prix de l’énergie, y compris de l’essence, ont augmenté, or les Grecs ne peuvent plus tirer sur leur épargne pour absorber ce genre de dépenses. Par ailleurs, on s’interroge sur la disposition de la police à maintenir l’ordre dès lors qu’elle aussi doit subir des baisses de salaires. La semaine dernière, des policiers qui manifestaient devant le bureau du premier ministre ont dû être repoussés par des brigades anti-émeutes (2) »
Jusqu’à quelle extrémité Mme Lagarde et le FMI comptent-ils aller dans le sens d’une baisse supplémentaire du « facteur travail » en Europe ? Interpellée en novembre 2007 par ceux qui se plaignaient du niveau élevé du prix de l’essence, Mme Lagarde, nommée quelques mois plus tôt ministre de l’économie et des finances par M. Nicolas Sarkozy, avait répondu qu’ils feraient mieux de recourir à un vélo plutôt que de continuer à utiliser — comme elle — une voiture. Cette fois encore, les conseilleurs du FMI ne sont pas les payeurs : pendant que les Grecs, soucieux de faire baisser le prix de leur « facteur travail », deviendront eux aussi cyclistes (ou entameront un régime alimentaire), Mme la Directrice générale continuera, elle, à gagner 551 700 dollars par an (427 000 euros) — soit 11 % de plus que son prédécesseur. Nets d’impôts, bien entendu.
A ce prix, les avis du FMI sont-ils encore « compétitifs » ?
Notes :
(2) « I.M.F.’s Call for More Cuts Irks Greece », The New York Times, 24 septembre 2012. »